Louis-Jerôme
2 mai 2005
Nous avons eu 3 enfants (Mathilde, 1990, Jean Eudes, 1991, Paul-Antoine, 1994), avec des grossesses de + en + difficiles
(je devais rester alitée de + en + longtemps). Mon mari a mis 10 ans avant d'accepter un autre enfant. Et je voulais
son accord. En 2004, il accepte! Une amie venait d'avoir une petite fille, (elle attend cette année, son 9e
enfant, 1 seul garçon), je la tenais dans les bras et je dis à Marc: "Tu ne trouves pas que çà me va bien?". Et là,
il me répond: "Oui!" Pour moi, cela relève presque du miracle, je n'y croyais plus.
Premier essai en août, bingo! Je suis enceinte! Et pour la 1ère fois, la grossesse est "normale" (pas de saignement,
donc, pas de raison de rester couchée), bref, le bonheur. Nous rêvons déjà de notre petite fille, d'ailleurs, j'ai
choisi un dossier rose pour mes documents médicaux!
Le 3 novembre, 1e échographie, là, 1er choc, le médecin nous annonce une anomalie, "vous allez faire une
fausse-couche". Pour nous, c'est le choc, évidemment, mais surtout les questions. Nous ne connaissons comme anomalie
chromosomique que la trisomie 21, celle que tout le monde connaît, et redoute à 40 ans.
Deux jours après, ma gynécologue m'apprend que c'est plus grave, une trisomie 13 ou 18. De retour à la maison, nous
nous précipitons sur Internet. Les descriptions sont effarantes, malformations terribles, pronostique vital
épouvantable (1 mois pour un garçon, 3 pour une fille!!!). Un cauchemar! Quel est ce "monstre" qui grandit en moi?
Moi qui suis hostile à l'avortement, j'ai si peur que cette idée va me travailler un mois durant!
Les examens se succèdent, le diagnostique tombe, impitoyable, définitif! Notre fils (eh oui, ce n'est pas encore cette
fois que nous aurons une fille! enfin, dans cette tragédie, nous n'étions plus à cela près!!!) est atteint de trisomie
18, et je ne pourrai pas mener à terme cette grossesse! Notre raisonnement est alors le suivant, si je dois faire une
fausse-couche, où est le problème? Laissons faire la nature et ensuite, on verra!
Malmenés par le corps médical à cause de notre choix de garder cet enfant si désiré, je suis "virée" comme une
malpropre par ma gynécologue mi-janvier: "on ne peut pas vous garder, d'ailleurs, çà vaut mieux pour tout le
monde..."!!! Elle ne me donne pas d'autre point de chute, pas de lettre à un autre médecin, rien! Heureusement pour
moi, j'avais vu les choses venir, j'ai pris rendez-vous à l'institut de puériculture (Paris XIVe). Là, nous
allons pouvoir commencer enfin à retrouver, sinon une paix intérieure, du moins, moins de tourment. Si le médecin est
étonné de notre choix, il le respecte. C'est énorme, vital même pour nous!
Alors nous apprenons à "apprivoiser" cette idée terrible, notre petit bout, qui bouge, qui me donne pour la première
fois de ma vie la chance de connaître une maternité "normale" (pas de lit, pas d'arrivée-catastrophe pour être
hospitalisée d'urgence sous perfusion...), notre fils va mourir! Quand? Point d'interrogation! Personne ne peut nous
le dire, parce que personne ne peut le savoir.
Nous essayons à ce moment d'organiser les choses. Un prénom! Se construire des "souvenirs" avec cet enfant que l'on
ne voit pas encore. Ses mouvements, les échographies... Et l'étonnement de chaque jour. Il est toujours là! Je devais
faire une fausse-couche, c'était sûr, et pourtant, il vit... Et puis, chose terrible pour des parents, au lieu de
préparer un berceau, un trousseau, des jouets... il faut prévoir un devis pour des obsèques, une concession, une tombe,
pour ne pas être pris de cours lorsque nous serons submergés par le chagrin... Cet enfant, nous ne pourrons rien pour
lui. Rien? Si, l'amour, gratuit, totalement gratuit! Car il n'aura jamais la chance de sourire, de parler, de
grandir!
Comme nous l'a dit la généticienne, "Vous avez eu 3 enfants, cette fois, ce ne sera pas pareil!". Pas pareil, çà veut
dire quoi? Je n'attends pas un enfant? Elle avait ajouté: "De toute façon, vous pourrez faire tout ce que vous voudrez
pour lui, il ne s'en rendra jamais compte!". Et là, mon coeur de mère s'est retourné, même si je pleurais trop pour
répondre: comment mon fils pourrait-il ne pas se rendre compte de notre amour, alors que les plantes se rendent compte,
parait-il, du soin qu'on leur apporte, de nos paroles, de la musique? Et mes chats (j'en ai 3), ce ne sont pas des
êtres humains, et pourtant, ils savent que je les aime! Elle ne gagnera pas!
Un peu pour me prouver que j'ai raison, et surtout parce que nous l'aimons déjà si fort, nous souhaitons de tout coeur
qu'il naisse vivant. Pour le voir vivant, pour l'embrasser, lui dire notre amour, et lui offrir la seule chose que nous
puissions faire pour lui: le baptiser (puisque nous avons la foi). Je souhaite qu'un prêtre le fasse, comme pour un
enfant "normal", mon mari ne le souhaite pas: "C'est la seule chose que je pourrai faire pour lui!".
Le 2 mai, en accord avec l'équipe médicale, nous décidons que c'est le grand jour, nous allons enfin le voir!
En fait, peu avant 16 heures, les choses se compliquent pour moi! Jusque là, tout allait aussi normalement que possible,
et là, nous frisons le drame, je fais une hémorragie, césarienne d'urgence (sous anesthésie médicale). Pendant plus
d'une heure et demie, je suis inconsciente (pour cause d'anesthésie). A mon réveil, je découvre dans une
semi-inconscience mon fils!
Enfin!
Il est vivant! Très mal, mais vivant! 24 heures à vivre maximum, dit le pédiatre, mais il est là!
J'ai à peine le temps de me rendre compte qu'il est là, que les médecins s'impatientent, il faut qu'il parte en
réanimation, à un autre étage! J'ai juste le temps de l'embrasser, lui dire que je l'aime, il est déjà parti, pour
toujours, je ne le reverrai pas vivant! Je dois lutter pour ma vie, et lui se débat avec la mort... Le seul petit
gémissement qu'il aura, c'est à ce moment, en entendant ma voix! Je le savais, il sait que je l'aime!!!
Mon mari l'accompagne, il le présente à 2 de nos enfants, Jean Eudes est pensionnaire, trop loin, on n'a pas le temps
d'aller le chercher! A mes parents, qui accompagnent nos "grands". Une heure, et il reste seul, en réa... Mon mari
reconduit la famille et surtout, revient près de moi, il a très peur pour moi. Il est à peine arrivé, le téléphone
sonne, il faut que mon mari aille d'urgence en réa, il n'a pas compris, j'ai besoin de lui, pense -t'il; l'infirmière
insiste, c'est urgent! Il part. Moi, j'ai compris! Quand il revient, Louis-Jérôme est dans ses bras, Barbara, la
puéricultrice, et la pédiatre l'accompagnent, c'est fini! Nous avons fait pour lui tout ce que nous pouvions!
Quelques jours plus tard, un prêtre ami, et deux amies viennent me voir, nous préparons la messe d'enterrement. Très
simple, très belle. Mon mari a prévu une branche de lys blancs, chacun représentent nos enfants. C'est la seule fois
que nous serons tous les 6... Dans l'église des amis, voisins, de la famille. Nous ne pensions pas qu'un si petit bout
attirerait tant de monde...
Et puis, le cimetière, et là, c'est la séparation définitive...Une bénédiction, il reste là, sans nous!
Nous avons gardé son bracelet de naissance, tout son dossier de suivi de grossesse, les photos, les feuilles de la
messe d'enterrement, l'eau qui a servi à le baptiser, les lettres que nous avons reçues pour lui... C'est si peu...
Nous avons fait faire un "mémento", petite image, tirée à 50 exemplaires, très vite partis, nous sommes amenés à
faire un retirage... Sur cette image, sa photo, il vient de mourir, un petit texte, et un psaume. Cette photo, nous
l'avons choisie, car son visage est si serein, il a trouvé la paix, un visage de "bébé-corolle"! Et puis, il y a
quelques mois, en novembre, nous avons enfin fait faire un monument.
3 places, lui, et nous.
Pour nous, il nous attend, là-haut, préparant nos retrouvailles. D'ici là, à nous d'être dignes de ce jour...
De notre histoire, nous avons des regrets, c'était trop bref, mais une sérénité, nous voulions qu'il naisse vivant,
qu'il soit baptisé, que nous puissions lui dire notre amour, devoir accompli!
Merci aux amis qui nous ont accompagné, a ceux de notre famille qui nous ont suivis dans cette épreuve,aux amis,
au pédiatre de la fondation Lejeune, le dr Ravel, présent chaque fois que nous avons eu des doutes, des questions, à
L'institut de puériculture, qui nous a accepté, malgré notre histoire si "bizarre"! à Barbara, après nous, il ne pouvait
rêver mourir dans des bras plus tendres! à vous tous, qui permettez à cette histoire d'être racontée!
Voilà, j'espère n'avoir pas été trop longue, mais notre histoire est complexe, et s'inscrit dans un contexte, sans
lequel elle est "bizarre", surtout l'année en France des 30 ans de l'IVG!
Anne
Dernière mise à jour de cette page: 03.03.2020