Renaud
4 avril 2015 - 5 avril 2015
Lorsque nous apprenons lors de la première échographie que la clarté nucale du
fœtus est très légèrement supérieure à la norme, nous ne nous
alarmons pas; Il s’agit
sûrement là d’un petit écart de mesure sans
incidence, le reste étant normal. Comme pour notre aîné
nous ne souhaitons pas réaliser la prise de sang des
marqueurs, étant décidés à accompagner
notre bébé quel que soit le résultat.
Lors de l’échographie
du 2ème trimestre, la gynécologue repère
tous les organes du bébé, trouve qu’il bouge très
bien, qu’il est en pleine forme et elle nous annonce que c’est
un garçon ! Nous sommes vraiment heureux et touchés
de le voir bouger si énergiquement et nous le projetons déjà
en petit compagnon de jeu pour notre ainé, alors âgé
de 14 mois. Cependant, au bout d’un moment, la gynécologue
nous dit être ennuyée car elle n’arrive pas à
mettre en évidence l’estomac du bébé.
Après plusieurs tentatives, elle nous explique qu’il ne
faut pas s’alarmer, mais qu’une échographie plus
poussée, dite « de référence »
sera nécessaire.
Trois semaines plus tard, à
24 SA, je retourne donc seule à la clinique. L’inquiétude
commence à monter et j’ai une sorte de pressentiment
(Depuis 15 jours, mon ventre a beaucoup gonflé et j’ai
de nombreuses contractions). L’échographe commence alors
une série de mesures… Voyant que je pose beaucoup de
questions et que je cherche à savoir, il m’annonce
qu’effectivement, il ne voit pas l’estomac ce qui
correspond probablement à une atrésie de l’œsophage.
Il rajoute avoir mis en évidence d’autres problèmes,
tels les mains recroquevillées, un orifice interventriculaire,
la distance entre les yeux légèrement inférieure
à la norme et enfin, de mon côté, un hydramnios
abondant (excès de liquide amniotique). Chaque problème
pris individuellement pourrait être traité, mais ce qui
l’inquiète, c’est l’association de tous ces
symptômes qui lui fait craindre une pathologie chromosomique.
Immédiatement je pense à la trisomie 21, mais
l’échographe émet aussi un doute par rapport aux
trisomies 13 et 18…(dont je n’ai jamais entendu parler).
Evoquant notre projet de grossesse, je lui réaffirme tout de
suite et sans hésitation notre volonté de poursuivre la
grossesse. Tout à fait respectueux de ce choix, il nous prend
alors rdv pour le lendemain avec ma gynécologue. Il est près
de 20h, je reprends ma voiture et ne cesse de penser à la
façon dont je vais annoncer ces résultats à mon
mari…
J’ai l’impression d’être
extérieure à la situation : je comprends qu’il
se passe quelque chose mais aucune émotion ne « sort ».
Sur le coup, mon mari non plus ne réalise pas vraiment.
Alors qu’il pense à la
trisomie 21, (que nous connaissons bien), je cherche sur internet
« trisomie 13 » et « trisomie 18 »
et là je découvre que dans ces 2 pathologies, si le
bébé arrive à terme, il a une espérance
de vie allant de quelques minutes à quelques mois seulement.
Nous nous rassurons en lisant que ce sont des pathologies assez
rares. Cependant, la journée du lendemain commence par un coup
de téléphone de la clinique : « donc
l’échographe vous a parlé d’une trisomie
18, c’est bien ça ? Vous êtes attendus
par Dr X ce matin»…Mon sang se glace et je comprends que
notre bébé est très probablement atteint d’une
maladie qui ne lui permettra pas de vivre….
En quelques jours, tout va alors
s’enchainer très vite. Nous rencontrons la gynécologue
à qui nous posons beaucoup de questions pour comprendre la
pathologie (sûre à 99% au vu des différentes
malformations) et ce qui va se passer pendant le reste de la
grossesse et à la naissance… Bien conscients du
pronostic de notre bébé, nous lui exprimons que notre
projet est de garder notre bébé et de l’accompagner
le mieux possible. Elle fait preuve de beaucoup d’empathie et
de délicatesse dans ses propos. Elle me met en arrêt de
travail et nous oriente comme prévu vers le centre de
diagnostic anténatal (DAN).
Nous ressortons du rendez-vous tous
les 2 oppressés et éprouvons le besoin d’appeler
nos familles pour nous sentir soutenus. Puis, malgré les
nombreuses contractions, nous décidons de partir en week-end
chez des amis pour « changer d’air »…
Par hasard nous allons rencontrer une famille qui a vécu une
histoire similaire et dont le témoignage va nous éclairer
et nous donner du courage.
Trois jours plus tard, au centre de
diagnostic anténatal DAN, l’équipe médicale
confirme la forte probabilité de trisomie 18 et nous incite à
faire l’amniocentèse pour que le diagnostic soit sûr
et que la prise en charge à la naissance soit ainsi facilitée.
Nous réaffirmons vivement à l’équipe notre
souhait : poursuivre la grossesse le plus naturellement
possible, ne pas faire d’acharnement thérapeutique mais
favoriser l’accompagnement. Notre but ce n’est pas de
faire vivre à tout prix notre petit bébé mais de
l’accompagner tout le chemin qu’il aura à vivre,
aussi court soit-il. Intérieurement, notre souhait le plus
grand est d’au moins pouvoir faire sa connaissance vivant.
Malgré cette affirmation, il
va falloir, en peu de temps, faire des choix et donner des consignes
plus précises dans le dossier médical. Commence alors
une série de questions … avec la 1e :
amniocentèse ou pas ? si oui, à quel moment ?
(car risque que le geste déclenche un accouchement prématuré)
En cas de problème, césarienne ou pas ? Etc…
Après avoir retourné
les différents cas de figures des dizaines et des dizaines de
fois dans nos têtes, après avoir sollicité des
avis, auprès de l’équipe médicale,
d’associations (Institut Jérôme Lejeune, maternité
Catholique de Bourgoin Jallieu), de personnes ayant vécu une
situation « semblable », nous décidons
d’attendre le seuil de grande prématurité (34
semaines) pour faire l’amniocentèse, pour laisser au
moins une chance au bébé de naître vivant si le
geste déclenchait l’accouchement. Si l’hydramnios
doit être ponctionné avant, nous feront l’amniocentèse
en même temps. Sans être certain de faire le bon choix,
c’est celui qui nous semble aller le plus dans le sens de notre
projet d’accompagnement.
Je suis à
28 SA, en arrêt de travail et je commence à me projeter
davantage dans ma grossesse. Je sens notre petit garçon qui
bouge beaucoup, qui est là, bien vivant…. Je lui parle
la journée, touche souvent mon ventre, m’attache à
ce petit être que je ne connais pas encore. J’ai peur de
trop m’attacher et en même temps je veux profiter
entièrement de ces moments que je vis avec lui…Les
témoignages sur internet, de familles qui ont fait le même
choix que nous me bouleversent…ils m’aident à
pleurer, à réaliser…..et en même temps ils
me donnent beaucoup de courage car ils sont plein d’espérance.
Je les partage à mon mari qui peut alors lui aussi « craquer »
et extérioriser toutes les projections déjà
faites sur ce petit bébé et sa future complicité
avec son grand frère. Même si nous ressentons une grande
tristesse et de l’inquiétude, nous nous sentons aussi
très forts d’être tous les 2, convaincus de ce
choix d’accompagner notre bébé. Nous avançons
vers l’inconnu, sûrs que cela a un sens.
Notre foi va être pour nous un
vrai socle de même que tout le soutien et l’affection que
nous allons recevoir de la famille, des amis, des collègues,
ainsi que de personnes plus lointaines. Nous sentons autour de nous
une vraie solidarité.
Les semaines passent avec une
échographie tous les 15 jours. Le bébé continue
de bouger et de grandir même si la gynécologue note un
retard de croissance. Nous nous accrochons à ce que nous
voyons de lui, ses petites mains recroquevillées, son nez, ses
pieds… on espère tellement le connaître vivant !
Mon ventre m’oppresse de plus en plus et après avoir
retardé à 2 reprises la ponction de liquide amniotique,
d’abord par peur de ma part pour le bébé, puis
par manque de place à la maternité, la gynécologue
me prend finalement un mercredi….jour exact des 34 SA!
Le geste se passe très bien
et me voilà soulagée de 1.5l. Comme prévu, nous
avons fait à cette occasion l’amniocentèse.
Les contractions ont diminué depuis le traitement
dispensé pour pouvoir faire le geste et je vais passer la
première « bonne » nuit depuis plusieurs
semaines ! Je rentre à la maison vraiment rassurée
et soulagée. Deux jours après, la gynécologue
nous convoque pour les résultats et, suite à la
consultation, alors que nous sommes toujours à l’hôpital,
les « vraies » contractions débutent.
En salle
d’accouchement, nous sommes pris en charge par une sage-femme
qui saura trouver le ton juste, à la fois léger et
joyeux parce qu’il y a une petite vie à fêter et
doux et rassurant parce qu’elle comprend que nous allons vers
l’inconnu…
Renaud nait 7 heures après, à
2h du matin, de façon tout à fait naturelle.
Nous sommes tellement soulagés
et heureux de le voir vivant! Nous le prenons dans nos bras et
l’admirons…il est tout petit, tout fragile …et il
respire! Quel courage ce petit bonhomme, nous le trouvons magnifique…
La sage-femme le prend dans ses bras pour lui faire un soin et lui
dire des mots affectueux, pleins d’émotion. Ne sachant
pas combien de temps il va vivre, Vincent le baptise puis un ami
prêtre, le parrain, nous rejoint quelques instants. Nous
faisons des photos, c’est bouleversant…. Après
une petite heure de caresses, de mots doux en salle d’accouchement,
comme Renaud continue de respirer seul, son papa et la sage-femme
l’emmène en réanimation pour qu’il
bénéficie d’oxygène et d’antalgiques.
Je les rejoins 1h plus tard et grâce
à une équipe soignante remarquable nous allons passer
avec lui, contre nous en peau à peau, des heures inoubliables…
ses grands-parents vont aussi avoir la chance de le tenir un long
moment dans leur bras. (Même si nous ressentons très
fort avec Vincent le besoin d’être seul avec notre petit
garçon, ça sera vraiment réconfortant pour nous
par la suite d’en parler avec des personnes qui l’auront
vu.) Après 33h de vie, Renaud s’éteint
paisiblement dans nos bras, le matin de Pâques… il a un
visage d’ange…tellement paisible qu’il semble
dormir… Nous sommes tous portés par la grâce et
la paix qu’il dégage… Nous recevons
d’innombrables messages de soutien de personnes qui nous
portent depuis des semaines dans leurs cœurs et leurs prières.
L’équipe soignante nous a fait des empreintes de ses
pieds ainsi qu’une petite broderie avec son prénom…
Nous allons décider de
ramener le corps de Renaud à la maison avant les funérailles.
L’avoir à nos côtés encore 3 jours nous
réconforte beaucoup. Nous préparons la messe avec des
textes et des chants que nous voulons beaux et porteurs d’espérance.
Pour nous, la si
courte vie de Renaud a eu un sens. Même si des larmes ont coulé
et qu’aujourd’hui notre petit garçon nous manque,
nous nous sentons sereins. Renaud nous a apporté et nous
apporte encore d’où il est, plus de grâces que de
tristesse.
Vincent et Marie-Hélène Bret
Dernière mise à jour de cette page: 03.03.2020