L’attachement parent-enfant avec des enfants atteints d’anencéphalie
De Monika Jaquier
J'avoue que jusqu'à présent, tous les soirs, à la tombée de la nuit, je ne pouvais m'empêcher de penser: "Il nous
reste un jour de moins avec elle." Maintenant, quand viendra l'obscurité, je veux pouvoir me dire: "Aujourd'hui nous
avons vécu une journée de plus avec elle." C'est juste une question de perspective, mais qui change tout.
Nous allons profiter de Thaïs. Jusqu'au dernier moment. Ensuite, nous aurons tout le reste de notre vie pour
apprivoiser son absence.
Anne Dauphine Julliand dans le livre "Deux petits pas sur le sable mouillé"
1. Introduction
Recevoir un diagnostic d’anencéphalie pour son enfant à
naître est un événement traumatisant. Rien n’est
plus comme avant…
Un enfant est l’expression même de croissance, avenir, famille,
promesse. Tout d’un coup, l’avenir semble avoir été
volé.
L’enfant est « incompatible avec la vie », il mourra
certainement. Si ce n’est pendant la grossesse ou lors de
l’accouchement, ce sera quelques heures ou peu de jours après.
Mais est-ce que tout est vraiment perdu maintenant ?
Dans son texte « Bienvenue en Hollande » Kingsley (1987)
compare la vie avec son enfant handicapé avec un vol en avion
dont le but planifié était l’Italie mais qui
finit par aboutir en Hollande.
Si l’on adapte cette histoire aux familles confrontées à
l’anencéphalie, j’utiliserai l’analogie avec
un voyage en train. Ainsi j’ai pris la liberté d’écrire
une nouvelle version de ce texte, sur mesure pour la situation après
un diagnostic prénatal gravissime :
Attendre un enfant, c’est comme planifier un voyage magnifique pour l’Italie. On se procure des guides de voyage et des prospectus sur l’Italie pour s’y préparer.
Après des mois d’attente impatiente vient finalement le jour où l’on est assis dans le train pour l’Italie. Mais peu après le départ, le haut-parleur fait l’annonce suivante :
« Mesdames et Messieurs, bienvenue à bord de notre Intercity pour la Hollande. » « La Hollande ?!? Qu’est-ce qu’ils veulent dire par la Hollande ?!? J’ai acheté un ticket pour l’Italie ! Toute ma vie j’ai rêvé d’aller en Italie ! »
Que faire ?
Quitter le train dans un lieu inconnu où l’on ne voulait pas aller non plus, mais dont les gens disent que c’est la solution la plus simple ? Ou rester assis à attendre l’arrivée en Hollande ?
Lorsqu’on regarde par la fenêtre du train, on ne voit d’abord qu’un vague paysage qui passe à toute vitesse. C’est seulement en regardant de près qu’on arrive à apercevoir des détails. Un beau jardin de fleurs, des enfants qui jouent dehors. Tout a toujours été là, mais on ne l’a pas vu parce qu’on n’était fixé que sur le but du voyage.
Le train continue invariablement à rouler en direction de la Hollande, mais doucement on commence à réaliser que si on ne peut pas changer la destination, on peut choisir comment vivre le voyage.
Si on passe son temps à regretter le rêve perdu de l’Italie, on ne sera jamais libre de jouir des choses spéciales et merveilleuses du voyage vers la Hollande.
Arrivé là-bas, on constatera qu’on ne peut certes pas comparer la Hollande à l’Italie, mais que si l’on ouvre les yeux, on peut y voir de belles choses : des tulipes, des moulins à vent, des Rembrandt, …
Le diagnostic ouvre aux parents subitement un autre regard sur leur enfant à naître. Des liens préalablement établis sont brisés.
« Je m’étais tellement réjouie de cette grossesse, je l’avais tellement attendue, et puis elle est devenue un vrai cauchemar pour moi. Avant je caressais mon ventre, parlais avec mes jumeaux, mais maintenant, je n’en étais plus capable. »
Andrea
Apprivoiser cette nouvelle réalité est un chemin difficile. Les parents qui décident de poursuivre la grossesse après un tel diagnostic font un voyage pour lequel il n’y a pas de prospectus sur papier brillant. C’est un voyage douloureux certes mais aussi d’une richesse insoupçonnée.
2. L’importance de l’attachement
L’attachement est vu comme un besoin élémentaire de l’enfant.
Il commence déjà dans l’utérus lorsque le
bébé perçoit les aspects de son environnement
maternel comme la voix et les battements du cœur de la mère,
ou par les caractéristiques du goût et de l’odeur
du liquide amniotique (Moré 2006).
D’un côté, l’enfant a besoin de l’attachement à
sa mère, mais pour celle-ci, il est tout aussi important de
créer une relation profonde avec son bébé à
naître. Des études ont montré que la stimulation
de liens prénataux a des conséquences positives non
seulement pour le bébé, mais aussi pour la maman. Ainsi
elle a une plus grande confiance en elle pendant l’accouchement,
le trouve « plus simple que prévu » et
son enfant (en bonne santé) reçoit une meilleure
appréciation (Van de Carr 1988, Manrique 1998). Des effets qui
sont donc aussi plus que souhaitable pour des parents d’enfants
atteints d’anencéphalie.
L’attachement entre une mère et son bébé est une relation
unique. Il peut être intensifié par les différents
moyens qu’on utilise communément pour entrer en contact
et montrer de l’affection à une personne. On peut faire
cela déjà pendant la grossesse.
Et ce n’est pas seulement la mère qui peut créer un tel
attachement à son enfant, mais aussi le père, la
fratrie et les proches.
3. Un bébé atteint d’anencéphalie peut-il s’attacher ?
Beaucoup de médecins ont une piètre opinion des capacités
des bébés atteints d’anencéphalie, vu
l’absence d’une grande partie de leurs structures
cérébrales. D’après leurs théories,
un enfant avec une anencéphalie ne peut ni voir, ni entendre,
et n’a pas de conscience. Pourquoi alors perdre du temps à
essayer de créer un attachement, si de toute façon
le bébé n’est pas conscient ?
L’expérience des parents concernés montre cependant une tout autre image.
Lorsqu’on les questionne sur les réactions de leur bébé
aux mouvements et caresses, à la voix et la musique, etc., ils
vous diront que leurs enfants ont bel et bien montré des
réactions, spécialement durant la grossesse.
Je ne veux pas prétendre qu’un bébé atteint
d’anencéphalie peut tout faire comme un nouveau-né
en bonne santé, mais il a des capacités.
Il ne faut pas oublier non plus qu’une relation entre deux personnes n’est
pas dépendante seulement de leurs compétences, mais en
premier lieu de leurs sentiments. L’amour est donné avec
le cœur et il n’y a pas besoin de cerveau en parfait état
pour le recevoir.
« J’ai créé des liens avec Julie avant sa naissance. C’était un choix que j’ai fait. La tenir dans mes bras a été merveilleux, nécessaire et a contribué à renforcer l’attachement, mais ça n’a pas été le début.
Je pense que ses limites physiques étaient grandes ; elle bougeait un peu dans mon ventre mais pas beaucoup. Il ne me semble pas qu’elle ait pu répondre aux voix ou aux attouchements. Je pense qu’elle aurait été sourde et aveugle et n’aurait pas pu bouger beaucoup. Je ne sais pas quels cris ou autres bruits elle aurait été capable de faire. Mais pour moi, ces choses n’étaient pas essentielles à l’attachement envers elle.
Laissez-moi clarifier : je désirais ces choses. Je voulais désespérément entendre sa voix, la sentir bouger, la regarder dans les yeux, l’allaiter. Mais je n’ai pas eu cette chance et j’ai pu constater que je n’en avais pas besoin pour aimer mon enfant et pour ressentir de la joie à sa naissance.
Tout se résume à la foi et à l’amour. A ouvrir son cœur à accepter ce qui est, au lieu de se languir de ce qui aurait pu être. L’attachement entre les parents et les enfants va dans les deux sens. Dans le cas d’un enfant qui donne des réponses plus spirituelles et moins physiques, l’accent est mis sur les parents. Nous nous connectons à elle et puis nous pouvons la sentir. »
Bridget
« Le porter dans mon ventre, le sentir bouger et savoir qu’il pouvait sentir et comprendre mon amour, même si les docteurs ont dit qu’il en serait incapable, était merveilleux. Je peux vous assurer qu’il pouvait vraiment sentir l’amour et l’affection que nous lui avons transmis. »
Lily
4. N’est-il pas contradictoire de s’attacher à un enfant à naître qui va mourir ?
« Apprendre à connaître notre bébé, trouver un oui à
notre attachement, rend possible de faire ses adieux, rend possible
de le laisser partir – d’abord au niveau matériel,
puis au niveau émotionnel et spirituel. C’est la
meilleure condition de pouvoir tôt ou tard créer de
nouvelles attaches… Les souvenirs nous aident sur notre chemin
de deuil et facilitent l’assimilation dans la famille. »
(Lothrop 2000)
Un diagnostic aussi grave que l’anencéphalie amène
tout d’abord une cassure dans l’attachement naissant.
Mais lorsque des parents décident de poursuivre la grossesse,
la relation à leur enfant peut non seulement être
restaurée, mais elle peut gagner en intensité comme
elle ne l’aurait probablement pas fait autrement.
« Je pense que le fait de créer des liens avec elle a facilité mon deuil, car j’ai compris qu’elle était atteinte d’anencéphalie et j’ai eu plusieurs mois pour me préparer pour son enterrement, pour passer par tous les stades du deuil et m’y faire. »
Jane
« On a eu quatre mois pour se préparer. Je pense que c’était juste ce qu’il nous fallait. … Je n’ai eu qu’une chance d’aimer Emily dans ce monde. Seulement 20 semaines. On a essayé d’en tirer tout ce qui a été possible. »
Jane
5. Comment s’attacher
Lorsque nous commençons une relation avec quelqu’un, nous
essayons d’abord d’apprendre à le connaître
et de nous faire connaître. Nous échangeons des
informations. Pour cela, nous utilisons tous nos sens. Nous
regardons, écoutons, parlons, sentons avec nos mains et notre
odorat. Et nous donnons place à nos sentiments, nous pensons,
donnons, prenons, aimons.
Pour nous attacher à un enfant à naître, nous faisons la
même chose : nous créons une relation. Nous
utilisons tout nos sens et sentiments pour entrer en contact avec
lui, pour reconnaître en lui une personne précieuse.
Alors que je cherchais des suggestions pour favoriser les liens prénataux
entre un bébé gravement malade et ses parents, j’ai
réalisé une fois de plus que ceux qui ont le plus à
dire sont les parents eux-mêmes. Ils ont passé par là,
voyagé sur cette route et ils sont le mieux à même
de partager ce qui les a aidés, ce qui les a freinés.
Je leur laisserai donc la parole.
J’ai essayé de présenter une quantité de chemins
différents. La liste n’est cependant ni exhaustive, ni
« obligatoire ». Vous pourrez probablement très
bien vous passer de certaines suggestions, mais trouverez d’autres
voies pour nouer des liens avec votre enfant.
6. Avant la naissance
6.1. Les sentiments
Reconnaître et accepter le diagnostic
« Ce n’était pas une décision facile. Nous avons longtemps parlé, pleuré et prié avant de décider de poursuivre la grossesse. C’était une des décisions les plus difficiles que nous avions jamais eu à prendre. En fait, c’était la plus difficile. Mais c’était probablement aussi la meilleure que nous avions jamais prise.
Nous avons expérimenté une joie incroyable à donner à Ajani la meilleure vie qu’il pouvait avoir, à lui donner tout notre amour pendant que nous le pouvions. »
Simon
Ecrire ses pensées et sentiments
« J’écrivais une fois par mois dans mon journal intime depuis le début de la grossesse, mais après le diagnostic, j’ai commencé à écrire chaque semaine. Je savais que je ne voulais plus jamais passer par là, mais je savais aussi que je ne voulais en oublier aucune seconde. Je voulais me souvenir du bon et du mauvais et pouvoir un jour partager l’histoire d’Austin avec ses frères et sœurs. »
April
« Après avoir appris que Jaron n’allait pas survivre, nous avons commencé à compter les jours que nous avions avec lui. Nous avons remercié Dieu pour le temps et les bénédictions de la vie de Jaron. Nous avons écrit comment sa vie a changé la nôtre et celles de nos familles et amis. Alors que nous ne pouvions même pas encore le tenir dans nos bras, il était clair que sa vie avait un impact incroyablement puissant sur nous. »
Liz
Nommer l’enfant
« La première chose que nous avions fait pour tisser des liens avec Jaron était de lui donner un nom. Je pense que c’était le facteur le plus puissant dans notre attachement. Nous avons choisi un nom peu courant qui n’était attaché qu’à notre fils. Comme deuxième prénom, nous lui avons donné le nom de son père en tant que rappel et reconnaissance du lien unique entre lui et son papa. Nous avons demandé à tout le monde d’appeler notre fils par son nom et de reconnaître ainsi qu’il était une personne. C’était une clé pour nous – autant pour notre propre processus d’attachement et de deuil que pour celui de nos proches. »
Liz
« Mon mari et moi avions demandé de savoir le sexe de notre bébé dès que possible. Cela nous a permis de lui donner un nom plutôt que d’attendre la naissance et de pouvoir créer de liens avec elle. Au lieu de devoir dire « le bébé », nous pouvions parler de « notre fille » ou de « baby Emily ».
Karen
6.2 Les sens
Laisser le bébé entendre
« J’ai chanté pour elle et j’ai caressé mon ventre alors qu’elle bougeait. Nous avons ri de la manière dont elle donnait des coups de pied après certains bruits. La petite locomotive de son frère faisait un fort « tchoutchou » et chaque fois qu’elle l’entendait, elle bougeait vigoureusement. »
Karen
« Elle aimait lorsque j’écoutais de la musique, c’était comme si elle dansait avec la musique. »
Jane
Ecouter le bébé
« Lorsque j’étais dans le dernier trimestre, je prenais chaque soir une heure pour écouter les bruits que Joyann faisait dans mon ventre. J’avais un petit moniteur qui faisait entendre les battements du cœur. Encore aujourd’hui je pense avec reconnaissance à ces moments tranquilles où je pouvais me concentrer uniquement sur elle. »
Jewell
« Des amis nous ont loué un doppler à l’aide duquel nous pouvions entendre les battements du cœur d’Emily à la maison. Les enfants aimaient à jouer « au docteur » et chasser ses battements de cœur. »
Laura
Toucher
« A partir du moment où je commençais à le sentir bouger, je prenais chaque jour 30 minutes de temps tranquille avec mon bébé. Je m’allongeais dans ma chambre, mettais mes mains sur mon ventre et le sentais bouger. Je lui disais combien il était aimé et combien nous étions contents parce qu’il grandissait si bien. »
Megan
« Pendant la grossesse, j’essayais de tisser des liens avec lui pendant mon bain. Il aimait bien les bains chauds et je pouvais le voir bouger, lui caresser les pieds alors qu’il donnait des petits coups. »
JoEllen
« Les quelques mois que j’avais avec mon fils dans mon ventre ont été les meilleurs de ma vie. Il n’a pas survécu à l’accouchement, mais je n’oublierai jamais comment il bougeait tous les soirs juste avant que j’aille me coucher. Il me faisait toujours savoir qu’il était bien là. »
Rachel
Laisser sentir les autres
« Lorsque Joyann bougeait, je laissais tous ceux qui le voulaient la sentir. Je trouvais que cela les aidait à réaliser qu’elle était vivante dans mon ventre. Lorsque mon mari lui parlait et poussait un peu mon ventre, elle donnait des petits coup en retour. »
Jewell
« Sa plus grande admiratrice était sa grande sœur. Elle l’aimait dès le début. Elle jouait avec lui alors qu’il donnait des coups de l’intérieur. Je n’oublierai jamais ces moments précieux. »
Jessica
« Tous les soirs, je m’asseyais sur la chaise à bascule et prenais ma fille de trois ans sur mes genoux. Avec Krista, nous « bercions Emily pour l’endormir ». Krista frottait mon ventre et elle se sentait vraiment partie prenante. C’était chou pour moi de tisser des liens avec mes deux filles. »
Julie
Voir
« Les échographies étaient des moments privilégiés de voir Jaron bouger et de lui parler. Nous ne savions pas quelle serait son apparence après la naissance, mais sur l’écran, il avait l’air si normal. Cela nous a aidé à le voir comme une personne et de commencer à accepter la situation. Il n’était pas un bébé anencéphale. Il était un bébé avec une anencéphalie. »
Liz
« Nous avons invité chaque grand-maman à venir assister à une échographie pour le voir bouger. Nous voulions donner vivant à chacune d’elle l’occasion de le voir. »
April
« Mon mari n’arrivait pas à s’attacher à lui avant notre échographie 4D. Lorsqu’il l’a vu aussi « normal », ça l’a soulagé et il a pu commencer à tisser des liens. »
Chantell
Voir le développement
« Nous visitions le médecin chaque mois. Il nous faisait une échographie et mon mari venait toujours avec moi. A chaque fois, nous pouvions voir combien Jaden avait grandi et une fois, nous avions même eu une échographie en 3D. On a pu voir son visage, il avait les joues potelées. »
Vi
6.3 La vie de tous les jours
« Je passais ma grossesse avec elle en essayant d’aller de l’avant aussi bien que possible. Je lui parlais, je lui écrivais. Je signais des cartes en son nom aussi. Nous l’avions amenée à un match de basket. J’ai planté des fleurs avec elle. Et ce que les mères et les filles font le mieux : je l’ai amenée dans les magasins. Ainsi elle a choisi la tenue qu’elle allait porter à sa naissance. »
Kay
« J’ai essayé de changer ma manière de penser. Au lieu de penser à tout ce qu’elle allait rater, je me concentrais sur ce qu’elle pouvait vivre maintenant. Nous allions par exemple faire du bob avec les filles pour qu’Emily ait fait du bob. Je mangeais plein de chocolat et de caramels pour qu’Emily en ait eu. … »
Julie
« Alors que le grossesse était déjà bien avancée, nous passions des vacances en famille. Un jour, nous avons fait une longue promenade. C’était extrêmement difficile pour moi avec mon gros ventre de crapahuter là-bas, mais j’ai persévéré. Lorsque j’arrivai enfin au but, je me sentis victorieuse. Je sentais que Joyann avait elle aussi apprécié la beauté de cette promenade. Je sentais qu’elle était là avec moi et que nous avions fait l’effort ensemble. C’est quelque chose que je chéris encore aujourd’hui. »
Jewell
« J’ai appris à crocheter pendant ma grossesse avec Kevin pour pouvoir lui faire une couverture spéciale pour l’enterrement. Le soir, je mettais les filles au lit, m’installais confortablement et crochetais sa couverture. Kevin bougeait d’avantage pendant ces temps. Quand je fais du crochet aujourd’hui, cela me fait toujours penser à ces moments précieux avec Kevin, lorsqu’il grandissait et qu’il était bien vivant. »
Crystal
« On a fait un voyage à travers le pays pour pouvoir nouer des liens en tant que couple, échapper à l’attention et aux inquiétudes constantes de nos familles et amis et simplement pouvoir profiter d’avoir Jason avec nous. »
Liz
6.4 Rituels
« Nous avons eu une consécration du bébé dans notre Eglise pour Jaron avant qu’il naisse. Plutôt que de promettre de l’élever dans le Seigneur, nous avons proclamé que nous allions l’aimer et lui donner les meilleurs soins possibles pendant le temps qu’il serait avec nous. Nous avons proclamé que chaque jour avec Jaron serait un cadeau de Dieu et que nous n’allions pas prendre un seul moment comme un dû. Notre famille et nos amis étaient là avec nous pour nous soutenir dans cette démarche. Nous avons envoyé des faire-part pour cet événement, ce que nous aurions aussi fait pour un enfant qui va vivre. »
Liz
« On nous a préparé une « fête de prière » pour Austin dans notre Eglise. Sur l’invitation, il était écrit : « Que vos prières soient votre cadeau ». Plus de 200 personnes sont venues pour y prendre part. La fête était bien structurée avec des appels à la prière et de la musique. Chaque invité priait en silence pour notre famille. »
April
« Mon Eglise a organisé une « fête de l’amour » pour nous. Beaucoup de femmes sont venues, même certaines que je ne connaissais pas. Elles m’ont offert des cadeaux pour prendre soin de moi, ou réaliser des souvenirs de ma fille. J’ai reçu une courtepointe fait par ma famille et mes amis. Chaque carré de la courtepointe exprimait l’amour qu’un de nos proches avait pour nous et notre fille. Il est magnifique et nous l’avons suspendu maintenant dans notre chambre à coucher. »
Kay
7. Après la naissance
Le mot allemand pour la délivrance veut littéralement dire « dé-liens » (Entbindung). C’est vrai pour le lien physique qui lie une mère et son bébé durant la grossesse et qui prend maintenant fin. Le lien affectif, quant à lui, trouve dans l’accouchement un accomplissement. Enfin on peut voir le bébé, le prendre dans ses bras. La naissance nous fait faire quelques pas de plus qui nous rapprochent de l’enfant et lui donnent un visage.
7.1 Expérimenter la naissance
« J’étais tellement contente d’avoir pu donner naissance à ma fille d’une manière naturelle. D’une part, mon corps et mon âme avaient besoin de cette douleur pour la laisser partir. Mais l’expérience de la naissance était aussi tellement profonde par rapport à celles de mes autres enfants. C’était comme si cette euphorie qui accompagne l’expulsion et la découverte du nouveau-né était multiplié par dix. La peine de savoir qu’elle allait mourir était grande, mais la joie de pouvoir simplement l’accueillir effaçait tout. A ce moment-là, le fait qu’elle ait survécu à l’accouchement n’était même pas primordial. Ce que nous venions de vivre ensemble, ma fille et moi, était puissant et beau. »
Monika
7.2 Se rencontrer / se découvrir
« Ensuite nous l’avions couché nu sur ma poitrine. J’ai tellement aimé cela. L’infirmière disait qu’il avait de la peine à respirer, mais pour moi c’était sa manière de s’accoutumer à ce nouveau monde. Il ronronnait comme un petit chat. »
Vi
« La sage-femme m’a demandé si je voulais toucher Emil (il était décédé avant la naissance), mais au début, je ne voulais que le regarder. Elle nous a laissés seuls avec notre fils. J’ai commencé par le regarder un bon moment avant d’oser le prendre dans mes bras. C’était étrange, je n’étais même pas triste, juste fière et remplie de joie de pouvoir enfin le regarder. J’avais été si curieuse de voir à quoi il allait ressembler. »
Petra
« Après quelques heures, on nous a mis dans une nouvelle chambre. Je mentionne cela uniquement parce que c’était un de mes moments favoris d’avoir pu amener Emily dans sa nouvelle chambre. Pour un court moment, j’avais Emily pour moi loin de l’environnement médical de la salle d’accouchement. Nous avons fait une petite promenade entre père et fille. Je marchais tout lentement. C’était mon moment à moi et je l’ai pris comme un cadeau sans prix. »
Ryan
7.3 Vivre avec l’enfant
« Nous l’avons tous tenue et lui avons parlé. Son frère Daniel lui a montré « notre livre » que nous lui avions préparé avec des messages, des dessins, des fleurs séchées, etc. Il lui a enseigné tous les noms de fleurs dont il se souvenait et lui a dit que ces favorites étaient les zinnias. Nous lui avons lu quelques livres et Daniel a partagé ses jouets de bébé avec elle. »
Katharine
« La nuit de sa naissance et de sa mort, nous avons créé des liens avec lui en le tenant dans nos bras, lui chantant, priant avec lui, lui mettant un joli habit, lui donnant le bain (après sa mort) et dormant avec lui même après son décès. Nous avons pris plusieurs heures de film vidéo dans le peu de temps qu’il était avec nous et nous sommes tellement reconnaissants d’avoir ces vidéos. »
Liz
7.4 Créer des souvenirs
« Avant que notre infirmière nous quitte, elle nous a aidés à confectionner les « projets de bricolages » de Lily. Son frère Daniel a beaucoup aimé cela. Nous avons rempli un coquillage de plâtre et y avons laissé l’empreinte des orteils de Lily. »
Katharine
7.5 Rituels
« Pendant que mon mari avait Timothy dans ses bras, il l’a baptisé avec les larmes qui coulaient de ses yeux. »
Donna
7.6 Laisser partir
« Je demandai à Dan s’il voulait la tenir. Il l’a prise, l’a tenue dans ses bras et elle est décédée. Exactement où il fallait. Elle avait commencé sa vie dans mon ventre et l’a terminée dans les bras de son papa. »
Michelle
« J’appelais Dan pour qu’il vienne tout de suite car je pensais qu’elle était en train de mourir. Il est venu et s’est agenouillé près de nous. Il a tenu la petite main de Sarah, lui embrassait le front. Alors qu’il lui tenait la main, il lui disait : « C’est bon, tu peux partir avec le Seigneur maintenant. Sois libre. Papa te donne la permission de partir. » Sarah l’a regardé comme si elle l’avait entendu et compris. Puis elle m’a regardée et je lui ai dit : « Oui, ma petite fille, tu peux partir maintenant. » Elle a jeté un dernier regard à son papa et moi et a rendu son dernier soupir. »
Sandy
7.7 Faire ses adieux
« Le vendredi soir, nous avons pris son corps à la maison. Nos familles et amis ont passé pour faire leurs adieux. Je craignais la manière dont Sebastian et Cecilia (frère et sœur) prendraient la situation, mais tout s’est très bien passé. »
Teresa
« Lors des funérailles, le pasteur nous a fait écouter l’enregistrement que nous avions des battements du cœur d’Alexandra. Une amie m’a dit que sa mère était rentrée de l’enterrement et avait raconté à toutes ses amies que ces battements de cœur lui avaient fait réaliser qu’Alexandra avait vraiment été vivante. »
Kay
8. Comment l’attachement peut être influencé
« Trois semaines avant la naissance de mes jumelles, j’ai eu une échographie. Lorsque Bernadette a commencé à bouger très fortement, le technicien a dit que beaucoup de bébés étaient sensibles aux ondes sonores. Cela m’avait fort étonnée, car un de mes médecins m’avait dit plus tôt que les bébés avec une anencéphalie étaient sourd et aveugles. Toute excitée à l’idée que Bernadette pouvait entendre, j’ai passé les dernières semaines de la grossesse à leur parler et leur chanter quand je pouvais. Durant les soirées, mon mari m’installait sur le divan, jouait de la guitare et nous chantait des chansons. »
Kara
« Une autre chose qui a eu un grand impact sur moi étaient les mots d’une conseillère en génétique. Le jour où nous avions reçu la confirmation du diagnostic, elle a regardé mon mari et moi et nous a dit : « Vous êtes les parents de votre fille et c’est à vous de choisir quel genre de parents vous voulez être, même si ce n’est que pour peu de temps. » Ces paroles m’ont aidée à ne pas me considérer comme victime mais plutôt comme une adulte qui a des responsabilités envers à son enfant. »
Kay
« La première échographie après le diagnostic était douloureuse. Je n’ai pas seulement vu qu’aucun miracle n’avait eu lieu, mais le technicien m’a en plus dit sèchement que Joyann n’avait qu’une seule oreille. Imaginez ma réaction ! Lors d’une échographie ultérieure avec une technicienne sensible, j’ai pu voir que ma fille avait ses deux oreilles et même des petites joues toutes potelées. La technicienne me disait de « me concentrer sur sa beauté. »
Jewell
9. Conclusion
Les enfants atteints d’anencéphalie sont souvent qualifiés
d’ « incompatibles avec la vie ». Il est
vrai qu’ils meurent peu de temps après l’accouchement.
Pour les gens de l’extérieur, leur vie peut sembler
insignifiante.
J’espère que ces quelques pages vous ont montré qu’entre le
diagnostic et la mort, il y a une vie qui peut être très
riche. Il vaut la peine d’y investir !
« Si j’avais interrompu la grossesse, j’aurais ôté le trait d’union de la vie d’Austin. Il a vécu de 2007 – 2007, mais ce qui compte, c’est le trait d’union. »
April
10. Références
Kingsley, Emily, Welcome to Holland (1987),
http://www.our-kids.org/Archives/Holland.html
Lothrop, Hannah: Gute Hoffnung, jähes Ende. Kösel Verlag, München
2000
Manrique, B., Contasti, M., Alvarado, M. A., Zypman,
Monica, Palma, N., Ierrobino, M. T., Ramirez, I., & Carini, D.
(1998): A controlled experiment in prenatal enrichment with 684
families in Caracas, Venezuela: Results to age six. Journal
of Prenatal and Perinatal Psychology and Health, 12 (3 and 4),
209-234.
Van de Carr, K., Van de Carr, F. R. & Lehrer, M.
(1988): Effects of a prenatal intervention program. In: P.
Fedor-Freybergh & M. L. V. Vogel (Eds.), Prenatal & perinatal
psychology & medicine: A comprehensive survey of research and
practice (pp. 489-495). Lancaster, England: Parthenon Publishing
Group.
Dernière mise à jour: 05.02.2019