Benedict Oliver
25.6.2001 - 26.6.2001
Je dois commencer ce récit presque cinq ans avant la naissance de Benedict, quand ma soeur et
son mari ont découvert, lors d'une échographie à la 18e semaine de grossesse, que leur premier
bébé allait mourir.
Thomas Walter était atteint d'anencéphalie, une anomalie du tube neural, où le haut de la colonne
vertébrale ne se ferme pas. Nous étions tous sous le choc, surtout ma sœur Clare et son mari Tom.
Ils ont décidé, contre l'avis des médecins, de porter ce bébé à terme, de l'aimer pendant le court
laps de temps qu'ils passeraient ensemble. L'accouchement a été provoqué dans la 37e semaine et
Thomas Walter est né. Il a vécu 17 ½ heures, pendant lesquelles il a reçu de nombreuses visites.
Il a été porté par beaucoup d'amis, d'oncles et tantes et aussi par nous, Mark et moi.
Mark et moi nous sommes mariés moins de deux mois après la naissance et la mort de Thomas Walter.
Très vite, nous attendions nous-mêmes notre premier bébé. J'étais très nerveuse lors de la première
échographie. Heureusement, tout était en ordre et nous avons eu une très jolie fille, Cecilia.
Deux ans plus tard est né Sebastian. Nous étions très excités quand en 2000 nous attendions notre
troisième enfant. Le terme était prévu pour le 17 juillet 2001.
Je me sentis très mal à l'aise durant les semaines qui précédaient la première échographie de la 18e
semaine. Je n'avais pas vraiment ressenti les mouvements du bébé, ce qui était étrange, car mon
dernier bébé, Sebastian, je l'avais senti bouger à 12 semaines déjà. Normalement, je ne suis pas
quelqu'un de soucieux, mais je ne pouvais pas me défaire de ce sentiment de malaise. Je crois que
je savais inconsciemment que quelque chose n'allait pas. Lors de mon premier contrôle à l'hôpital,
je pensais être dans ma 13e semaine de grossesse, mais les mesures du docteur indiquaient la 12e.
Durant la semaine avant l'échographie, je m'imaginais dire à Clare au téléphone: "Ca nous est aussi
arrivé!". Je me demandais moi-même pourquoi je pensais cela. Le jour avant l'échographie, je devais
aller à l'hôpital pour mon contrôle mensuel avec la sage-femme et celle-ci me laissa écouter le
coeur du bébé. Comme j'étais soulagée!! Ainsi, le lendemain (à la Saint-Valentin), Mark et moi
nous rendions sans crainte, mais excités, à l'hôpital pour jeter notre premier coup d'oeil sur notre bébé.
Le rendez-vous ne commençait pas bien. Ce matin-là, nous nous sommes dépêchés pour partir de la
maison et dans la hâte nous avions oublié de prendre la feuille de convocation. La technicienne
d'échographie hésitait à faire l'examen sans ce formulaire. J'étais très déçue, car je m'étais
beaucoup réjouie de voir enfin notre bébé ! Finalement, elle fut quand même d'accord à condition
que nous allions tout de suite après le contrôle chercher la convocation. J'étais très excitée
quand je me suis couchée pour attendre qu'elle examine mon bébé. Après tout, je savais que mon
bébé vivait. J'avais entendu ses battements de cœur la veille; qu'est-ce qui aurait pu se passer
depuis là?
Quand la technicienne a commencé à examiner mon ventre, elle nous a montré que le placenta
recouvrait le col de l'utérus (placenta previa), ce qui signifiait que je devais certainement
accoucher par césarienne. Elle nous a expliqué que ça ne devait pas nécessairement être un
problème. Cela dépendait comment l'utérus allait s'étirer; le placenta pouvait encore se
déplacer jusqu'à la fin de la grossesse. Puis, elle a commencé à regarder le bébé et elle est
devenue silencieuse. Elle nous montrait ses pieds sans dire un mot. Je trouvais cela étrange,
car elle avait été très bavarde auparavant. Après quelques minutes, elle dit à Mark d'aller
tout de suite chercher la convocation. Je pensais que quelque chose n'allait pas pour qu'elle
renvoie Mark en plein milieu de l'examen.
J'attendis à la salle d'attente plus d'une demi-heure jusqu'à ce que Mark revienne. La
technicienne venait voir entre deux si Mark était déjà là et disait quelque chose comme: "Je
vais juste montrer les images à quelqu'un d'autre, mais ne paniquez surtout pas." Ce qui
m'a vraiment fait paniquer. L'écran n'avait pas été tourné dans ma direction pendant
l'échographie, mais j'avais quand même pu voir qu'elle observait toujours le visage du bébé.
"Qu'est-ce qui se passe?" pensais-je, "est-ce que mon bébé n'a pas de nez ou quoi?" Mais
dans mon for intérieur, j'entendais les mots: "anencéphalie, anencéphalie, anencéphalie,..."
Toujours et toujours. Je voulais à tout prix que Mark revienne, il semblait mettre une éternité!
Quand Mark fut de retour, nous sommes retournés dans la salle d'examen avec la technicienne
et son supérieur. Elle lui a montré le placenta et il a répété les mêmes explications qu'elle
nous avait déjà données. Ensuite, il a encore pris lui-même quelques mesures. Enfin, il s'est
tourné vers nous et nous a dit: "Voilà, il y a un problème avec... le foetus. Nous allons
chercher quelques personnes de l'obstétrique pour qu'ils vous expliquent tout cela et il
vaut mieux que vous gardiez vos questions pour ce moment-là." Je savais, à partir de
l'instant ou il a dit "foetus", qu'il y avait vraiment un problème. Autrement, il aurait dit
"bébé". J'étais énervée que mon bébé ne reçoive pas le même traitement juste parce que quelque
chose ne jouait pas. Je souhaite avoir pu dire simplement: "Est-ce que c'est une anencéphalie?",
mais, au lieu de cela, j'ai pleuré et je les ai laissés nous conduire dans une autre salle,
où nous devions attendre.
Dans cette salle, il faisait très, très froid. Je répétais à Mark, "Cela ne doit pas être
fatal, ça pourrait être n'importe quoi... Un problème avec le cœur, les reins ou les poumons..."
J'aurais souhaité qu'ils nous aient tout de suite dit la vérité. Nous avons attendu plus que
45 minutes que quelqu'un nous dise ce qui n'allait pas. Pendant cette terrible attente, je
laissais libre cours à mon imagination...
La doctoresse allait rentrer et dire: "Je m'excuse, mais votre bébé est trisomique 21." Et je
lui répondrais "Oh, ce n'est pas grave, j'avais pensé que vous alliez nous annoncer que notre
bébé allait mourir!" Alors, je prendrais mon sac à main et nous nous rendrions à notre
déjeuner de Saint Valentin.
Quand elle est enfin arrivée, la doctoresse s'est assise et nous a demandé si on nous avait
dit ce qui n'allait pas. Nous avons répondu que non. Alors, elle a commençé à nous expliquer:
"Il y a un problème avec le crâne du bébé." Je suffoquais et cachais mon visage entre mes
mains. Tellement d'images me traversaient l'esprit: Thomas Walter qui serrait mon doigt
quand je l'avais tenu dans mes bras, son enterrement, son petit cercueil qui descendait
sous terre, moi qui serrais ma sœur dans mes bras, quelqu'un qui me disait: "si cela
devait arriver à quelqu'un, c'est bien à Clare, elle est celle qui arrive à faire face"
(une phrase qui m'est restée tellement je la trouvais bizarre).
Mark dit: "Est-ce que vous parlez d'anencéphalie?" Elle dit oui et elle nous demanda si
nous savions de quoi il s'agissait. Mark a raconté l'histoire de Thomas Walter. Elle nous
a demandé à quel moment avait été provoqué l'accouchement et nous a expliquéqu'il y avait
deux possibilités. Nous pouvions continuer la grossesse comme Clare et Tom ou alors y mettre
un terme. Je dis "Non, nous ne ferions jamais cela", et à partir de ce moment-là, nous ne
nous sommes jamais sentis mis sous pression. Je suis sûre que notre précédente expérience
avec l'anencéphalie nous a protégés d'une certaine pression ou mauvaise information que
d'autres parents concernés subissent pendant la grossesse.
Quand nous avons été de retour à la maison, Cecilia qui avait trois ans, nous a demandé
si elle pouvait voir la photo du bébé. Je lui ai répondu: "Ils ne m'en ont pas donné
aujourd'hui. Je dois en demander une la prochaine fois." Elle dit: "Est-ce que tu es
un petit peu triste, maman?" Et je lui ai répondu: "Oui, notre bébé est un peu malade,
il a mal à la tête." Alors, elle m'a embrassée. Je me demandais comment nous allions
lui expliquer que notre bébé tant attendu allait mourir.
Les prochaines semaines ne me restent que vaguement en mémoire. Nos deux familles ont
été très affligés pour nous. Ils ont été d'un grand soutien et nous ont aidé de différentes
manières très pratiques. Par exemple en cuisinant un repas pour nous. Je lisais tous les
témoignages de familles qui avaient eux-mêmes eu un bébé atteint d'anencéphalie et qui
l'avaient porté jusqu'au terme. Je trouvais ces histoires si tristes et en même temps
si réconfortantes! Elles montraient combien les vies de ces bébés avaient été merveilleuses
- malgré leur courte durée. Je lisais ce que les différentes familles avaient fait pour se
rappeler la vie si courte de leur bébé. Même si ces récits me faisaient pleurer, c'étaient
de bonnes larmes qui me faisaient du bien. Je devais pleurer, on m'avait juste annoncé que
mon bébé allait mourir !
Lors de cette première échographie, on ne nous avait pas dit si nous attendions un garçon
ou une fille. Alors, nous avons convenu d'un nouvel examen. Cette deuxième échographie
était enregistrée sur une cassette vidéo. Nous avions cherché dans notre livre des prénoms
un nom adéquat qui nous plaisait et qui avait une signification spéciale. Quand la
technicienne d'échographie nous a annoncé que nous attendions un garçon, j'étais heureuse
de pouvoir donner le nom de Benedict (bénédiction) Oliver (paix) au bébé que je portais en moi.
Tout de suite après le diagnostic, je pensai que les prochains 4 ½ mois allaient être
interminables. Comment allais-je traverser tout ça ? Finalement, j'ai été très occupée avec
tous les préparatifs et plans que nous faisions et quand je regarde en arrière, cela semble
avoir été très court. Nous avions des rendez-vous mensuels avec les sages-femmes de la clinique.
Notre sage-femme, Maggie, était une des premières bénédictions que nous avons rencontrées.
Dés le début, elle a été d'accord de faire tout ce qui pouvait nous aider dans la préparation
à la naissance et à la mort de Benedict. Elle nous a proposé de passer chaque semaine juste
pour écouter les battements de cœur, si nous le souhaitions. Elle était tellement ouverte
et prête à nous aider d'une manière ou d'une autre. Elle avouait n'avoir jamais été dans
une situation pareille, mais voulait nous décharger de ce poids. En plus de toute l'attention
qu'elle nous a témoignée, elle était aussi là comme médiateur entre la clinique et nous,
pour tous les formulaires, copies, etc. qui concernaient la naissance.
Durant ces premières semaines, nous récoltions beaucoup d'idées sur les sites Internet
d'autres parents. Je commençais à énumérer une liste de choses qui me semblaient importantes
pour avoir le plus de souvenirs possibles. Nous avons fabriqué un petit faire-part sur lequel
était écrit:
"Mark et Teresa Streckfuss ont été béni savec un petit garçon, Benedict Oliver.
Il est attendu pour le 17 juillet 2001.
Un frère précieux pour Cecilia et Sebastian.
S'il vous plaît, priez pour nous, car il souffre d'anencéphalie et ne restera pas longtemps avec nous."
Nous avons envoyé ce faire-part à nos familles, nos amis et à chaque personne à
laquelle nous pensions, dans le mois qui suivit le diagnostic. Il y avait différentes
raisons pour cela: demander le soutien dans la prière, informer les gens sur l'anencéphalie
de Benedict, mais c'était aussi très important pour moi qu'on n'oublie pas Benedcit.
Je ne voulais pas que les gens prétendent que je n'avais pas été enceinte.
Je trouvai aussi un groupe d'entraide sur Internet, où j'appris tellement de choses
de beaucoup de personnes. Il y avait plus de cent membres à ce moment-là; la plupart
étaient des femmes qui ont déjà perdu un bébé dû à l'anencéphalie (aussi quelques hommes)
mais aussi des femmes comme moi, enceintes d'un bébé atteint d'anencéphalie. Je pense
que c'ést ce groupe qui m'a le plus aidé. C'est tellement bien de pouvoir se connecter
sur Internet quand on veut et "parler" avec des gens qui ont vécu la même situation,
d'échanger des idées.
Il s'est avéré que j'avais un placenta previa du IV degré. Cela causait de petits
saignements qui nécessitaient des séjours d'observation de courte durée à l'hôpital.
J'ai été sept fois à l'hôpital entre la 28e et la 36e semaine de grossesse. Cela
s'est avéré aussi être une bénédiction, car je suis ainsi entrée en contact avec
beaucoup de personnel soignant avant la naissance de Benedict. Je n'étais plus une
inconnue à la clinique et le personnel m'était devenu familier. Mark pouvait se
libérer du travail grâce à une rente spéciale du gouvernement (Australie) pour
pouvoir s'occuper des enfants. C'était très bien, car ainsi il pouvait aussi se
concentrer sur Benedict.
A la clinique, Benedict avait la réputation de jouer à cache-cache avec l'appareil
d'échographie. Chaque fois qu'ils essayaient de l'examiner, il donnait quelques
coups de pieds et disparaissait ! Il leur fallait souvent quelques minutes pour
l'avoir à nouveau sur l'écran. Maggie utilisait l'expression qu'il se "cachait
dans l'arrière-boutique", son petit compartiment secret.
D'une certaine manière, ces séjours à la clinique ne me dérangeaient pas trop,
parce que je pouvais écouter les battements de cœur trois fois par jour et ainsi
le sentir bouger. J'allais avoir besoin d'une césarienne à la 37e semaine à cause
du placenta previa qui recouvrait complètement le col de l'utérus. Ceci était une
autre "bénédiction cachée". Je voulais de toute façon une césarienne. J'avais
lu dans des statistiques que des bébés atteint d'anencéphalie mis au monde par
voie basse n'ont que 50% de chances de survie. Je ne pouvais pas m'imaginer fournir
tous les efforts d'un accouchement pour voir naître mon fils sans vie. Je voulais
d'abord pouvoir dire "bonjour" avant de devoir dire "au revoir". Pour assurer
cela, une césarienne était nécessaire. Je ne suis pas sûre que les docteurs auraient
accepté cette opération sans le placenta previa. C'était tellement important pour
nous que Benedict naisse vivant.
Et ainsi, le lundi 25 juin 2001 à 13:52h, Benedict Oliver est né.
Il a vécu pendant 24 heures et 13 minutes. Il est décédé le mardi à 14:05h.
Je ne crois pas que je pourrais vous raconter combien il était merveilleux,
ou combien son odeur était agréable, ou combien j'aurais souhaité que ces heures
ne s'arrêtent jamais. Il portait un tout petit bonnet que l'hôpital nous avait
fourni. Je pensais qu'il serait trop petit, mais il lui allait à merveille. Son
visage était si joli, il ressemblait tellement à nos autres enfants. Il était
si parfait !
Il ne pesait que 2600 g, mais il avait de bonnes joues et mesurait 46 cm. Il
avait crié à la naissance et encore quelquefois par la suite - non pas un cri
de bébé fort et sain, mais tout de même un cri. Il roucoulait et faisait un
bruit semblable à "pah-pah" quand il respirait. Il avait des cheveux châtain
clair, des pieds chatouilleux et, une fois, il a sucé son pouce penant presque
15 minutes! Nous avons pris une quantité de photos de lui, à peu près 13 films
pendant qu'il vivait. Nous prenions des photos de couleur, mais aussi en noir
et blanc et je suis contente d'avoir les deux.
Le temps que nous avons passé ensemble était si précieux ! Nous avions pu nous
organiser pour qu'un prêtre, qui était en même temps un ami à nous, nous assiste
à la naissance. Dès que Benedict avait vu le jour, nous l'avions fait baptiser
et confirmer. Mr Colin, le prêtre, fut d'un grand secours pour nous. Il nous
avait déjà rencontrés pendant ma grossesse, m'avait bénie et nous avait accompagnés
dans tous les préparatifs. Après la naissance et quand ses tâches de prêtre ont
été terminées, il a pris des photos pour nous.
Le personnel médical a été INCROYABLE. Ils étaient merveilleux, plusieurs
pleuraient, certains priaient et d'autres me caressaient la tête pendant la
naissance. J'étais tellement heureuse de pouvoir enfin voir Benedict. Je me
rappelle que l'anesthésiste me disait: "il est déjà un petit saint, n'est-ce pas?
Il est baptisé et confirmé, il est parfait!" Je trouvais cela tellement gentil
de sa part! Quand nous avons été de retour à l'étage, les sages-femmes ont
été très sympas avec moi. Ils nous ont laissés le plus de temps possible tout
seuls et rentraient juste de temps en temps pour faire leur travail.
Elles se sont si bien occupées de nous. Benedict n'était pas capable de téter,
alors les sages-femmes m'ont aidé à extraire un peu de colostrum pour le nourrir
avec une cuillère. Ainsi, il a reçu trois repas durant sa vie. Je ne crois pas
qu'il ait eu faim, mais j'étais reconnaissante d'avoir pu le nourrir de cette
manière. Quelques jours plus tard, lorsque j'ai eu la monté du lait, j'aurais
tant désiré pouvoir le nourrir. Mais c'était déjà bien que j'aie pu lui donner
un peu de mon colostrum.
Je n'ai que des louanges pour les sages-femmes et les infirmières qui nous ont
soignés avant et après la naissance de Benedict. Elles l'ont si bien entouré
avec amour et le respect qu'il méritait. Surtout Maggie, que nous voyions pendant
nos visites postnatales, a été merveilleuse. Elle était aussi présente lors de la
césarienne même que c'était son jour de congé. Elle est simplement venue comme
amie. Elle était aussi présente à l'enterrement, ainsi que quelques autres sages-femmes.
Un photographe professionnel était là lundi après-midi. Ce n'était pas nous qui
avions organisé cela mais l'hôpital. Ce photographe vient chaque fois qu'un bébé
meurt à l'hôpital quelle que soit l'heure. Nous lui sommes très reconnaissants
pour ce service gratuit. Il a pris de magnifiques photos des mains et des pieds
de Benedict, et d'autres de nous trois ensemble. Ce qui était particulièrement
bien, car Mark avait pris toutes les autres photos et de ce fait n'était jamais
dessus. Ce photographe fait aussi les photos des bébés nés en bonne santé, et en
venant de nouveau à l'hôpital le lendemain, il nous a déjà apporté nos photos à
ce moment-là ! Cela faisait du bien d'avoir ces belles images juste après la
mort de Benedict.
Une dame a aussi passé pour faire les empreintes des mains et des pieds de Benedict.
Elle avait fait un travail remarquable, les empreintes sont si nettes qu'on peut
voir les ongles, les rides et les plis.
Benedict a eu beaucoup de visiteurs. Il a rencontré Cecilia et Sebastian, les
grands-parents, les 14 oncles et tantes, 21 des ses 24 cousins, sa marraine et
un autre ami prêtre. Un de ses cousins avait apporté des bulles à savon à
l'hôpital et lui en a soufflé quelques-unes ! Après dix heures du soir, nous
avions Benedict pour nous tout seul. C'était bien d'avoir ce temps rien que pour
nous trois. Nous étions très fatigués mais nous ne voulions pas dormir pour ne
pas manquer une minute avec lui. Je fixai quelques buts à mon fils: "s'il te plaît,
vas-y jusqu'à midi, fais le jusqu'à 17 ½ heures comme Thomas Walter,
tiens bon jusqu'à demain..." J'étais tellement fière de lui qu'il ait vécu si
longtemps! Je voulais pouvoir dire qu'il avait vécu toute une journée.
Finalement, nous étions si épuisés que nous nous relayions, l'un somnolait
pendant que l'autre veillait. Mais je pense que j'avais un sommeil si léger
que je m'éveillais à chaque fois qu'il bougeait. Nous lui avons chanté des
chansons, lu des histoires, mais la plupart du temps, nous le tenions simplement
dans nos bras et l'aimions.
Les infirmières nous ont expliqué que la couleur de sa peau allait changer au
fur et à mesure que son était s'affaiblirait. Elles ne cessaient pas de nous
répéter combien il avait bonne mine. Il a commencé à avoir des arrêts respiratoires
mardi matin, mais sa couleur redevenait rapidement normale chaque fois. Après son
décès (sans qu'il ait changé de couleur de peau) une infirmière est rentré dans
la chambre. Je crois qu'elle ne se sentait pas à l'aise et a dit quelque chose
du genre: "J'avais pensé qu'il vivrait plus longtemps." Sur quoi j'ai répondu qu'il
avait vécu plus de 24 heures et que c'était bien plus que ce que nous avions espéré.
Nous étions tellement reconnaissants pour le temps que nous avions pu passer
ensemble. Après son décès, nous l'avons baigné et habillé. Nous avons pris encore
plus de photos et nous avons enregistré le bain sur une cassette vidéo; cela nous
a permis plus tard de voir son corps entier. Nous avons gardé son corps près de
nous pendant la nuit et jusqu'à ce que l'employé des pompes funèbres vienne le
chercher mercredi après-midi. Mark a pu rester avec moi pendant tout le séjour à
l'hôpital. C'était bien de pouvoir vivre le deuil ensemble là-bas.
Nous sommes rentrés à la maison jeudi matin, et ce soir-là nous avons été
occupés à finir un petit livret que nous avions préparé pour l'enterrement.
Il nous a fallu un bon moment pour cela, mais j'étais très contente du résultat.
Sur la couverture, nous avons mis une photo du visage de Benedict; à l'intérieur,
une photo de ses pieds et au dos un poème. J'avais déjà commencé ce livret avant
sa naissance, ainsi je n'avais plus qu'à remplir les dates et finir la couverture.
J'étais contente d'avoir déjà préparé un bout à l'avance. Cela nous a permis de
pourvoir pleinement penser à lui, sans nous soucier d'autre chose.
Le vendredi soir, nous avons pris son corps à la maison, pour que notre famille
puisse prendre congé de lui. Je me faisais du souci pour Cecilia et Sebastian,
comment allaient-ils vivre cela ? Mais tout s'est bien déroulé. Les quelques
instants qu'ils l'avaient vu à l'hôpital avaient été trop courts et il y avait
trop de distractions. Nous avions enregistré quelques jolies séquences avec
Sebastian sur cassette vidéo où il berçait son frère dans son petit lit en
chantant de tout son cœur: "baby, baby, baby." Cecilia a chanté le matin pour
son petit frère et s'est assurée qu'il ait tous ses nounours avec lui.
Maintenant, c'est elle qui s'occupe des peluches de Benedict.
Benedict a passé cette nuit dans son berceau à côté de nous et le matin je
lui ai mis les habits que j'avais achetés exprès pour cette occasion.
C'était dur de l'habiller pour la dernière fois et de le mettre ensuite
dans le petit cercueil. C'était encore plus dur de fermer le couvercle en
sachant que je n'allais plus jamais voir sa jolie figure. Je suis heureuse
d'avoir tant de photos, je les regarde souvent. Nous avons mis beaucoup d'objets
à côté de lui dans son cercueil : un lapin en peluche, la moitié d'un pendentif
(je porte l'autre moitié sur moi), des perles de rosaire, un porte-bonheur
(qui avait été fixé sur sa couverture de baptême), un pins avec un ange gardien,
une lettre de sa marraine, un dessin de Cecilia, une boucle de cheveux de
chacun de nous quatre. Nous avons enveloppé Benedict avec tendresse dans une d
ouce couverture que je lui avait cousue. Nous l'avons transporté dans notre
voiture à l'église; c'était triste de réaliser que c'était la seule fois
où nous roulions à cinq dans notre auto.
L'enterrement n'a pas été aussi difficile à supporter que je craignais.
Normalement, les enterrements me bouleversent BEAUCOUP, et je pensais
que cela allait être pareil pour celui de mon fils. Un enterrement est
normalement l'endroit où on fait ses adieux et son deuil. Mais nous
l'avions déjà commencé, quatre mois auparavant - ainsi l'enterrement n'a
pas été aussi intensif que prévu. Naturellement, j'étais triste, mais pas
hystérique comme je le redoutais.
Benedict est maintenant enterré à côté de Thomas Walter, dans le cimentière
tout près de chez nous. C'est très triste de se rendre là-bas et de voir sa
petite tombe, mais je suis content qu'il se trouve juste à côté de son cousin.
C'est un réconfort de les savoir l'un à côté de l'autre, surtout parce qu'ils
sont morts de la même malformation. Ils ont un autre cousin, Peter Francis,
enterré non loin d'eux. Il fait bon les savoir ensemble.
Vous êtes peut-être étonnés que j'utilise des expressions comme "merveilleux"
ou "parfait" pour notre fils qui souffrait d'une malformation si évidente.
Mais il ETAIT très beau et parfait et toutes les autres jolies expressions
qu'on utilise pour un nouveau-né. IL ETAIT MON FILS!! J'aime Cecilia et Sebastian
non parce qu'ils sont en bonne santé, mais parce que ce sont mes enfants.
Benedict me manque beaucoup, mais je n'échangerais sa vie contre rien au monde.
Et même si ce fut l'expérience la plus douloureuse à vivre jusqu'à présent, ce
fut en même temps la plus belle.
Benedict a passé toute sa vie dans les bras de personnes qui l'aimaient -
qui peut demander une plus belle vie?
Teresa Streckfuss
L'histoire Charlotte Mary, la petite soeur de Benedict
Dernière mise à jour de cette page: 05.02.2019