Charlotte Mary
"L'amour permet de tout supporter, il nous fait garder en toute circonstance la foi, l'espérance et la patience."
1 Cor.13.7
Après le décès de Benedict, nous avons rapidement désiré un autre bébé.
La césarienne que j'avais eu avec Benedict était une "incision classique" et non une "incision latérale",
alors nous étions peinés d'apprendre que je ne pourrai désormais accoucher que par césarienne; le
risque d'une rupture de l'utérus durant un accouchement normal étant trop grand. Nous avons toujours
voulu avoir une grande famille, mais nous savions que le nombre des césariennes possibles était limité.
Nous avons à nouveau conçu 6 mois après la naissance de Benedict. Je prenais mon acide folique fidèlement
et j'étais très confiante quant à un bébé en bonne santé. A la 12e semaine de grossesse, on m'a proposé
un ultrason et je m'y suis rendue avec empressement. L'obstétricien était très gentil, il me disait doucement
qu'il cherchait à voir un battement de cœur ou un mouvement. Il attendait et attendait. Je regardais l'écran
et suppliait mon bébé en silence, "bouge s'il te plaît, bouge...". Mais il était déjà parti, juste 1 ou
2 jours plus tôt.
Ayant déjà connu la souffrance du décès d'un bébé en perdant Benedict, nous arrivions assez bien
à faire face cette fois. Nous avons appelé notre fille Hannah et avons confectionné un petit livre
avec le peu de souvenirs que nous avions d'elle. Surtout pour décrire comment nous nous sentions
après la nouvelle que j'étais de nouveau enceinte, les rendez-vous avec les médecins quand nous avons
appris qu'elle était décédée etc.
Faire quelque chose, même si c'était peu, était si utile. Je sentais que nous permettions à Hannah
de faire sa place dans notre famille; une place qui n'appartenait qu'à elle. Nous pouvions ensuite
aller plus loin, continuer la vie de tous les jours, elle avait sa place et son espace à elle. Je n'ai
jamais ressenti cela lors de notre première fausse couche (ma seconde grossesse), nous ne nous étions
pas arrêtés pour accorder à cet enfant une place spécifique dans notre famille, nous ne savions pas
comment faire le deuil de ce bébé.
3 mois après avoir perdu Hannah, nous nous sentions à nouveau prêts pour avoir un bébé. A ce moment-là,
je prenais mes 5mg d'acide folique comme prescrit depuis 13 mois. J'ai commencé à prendre cette haute
dose 2 mois avant la naissance de Benedict. J'étais enceinte de 6 semaines d'Elijah au premier anniversaire
de Benedict. Après une grossesse sans problèmes mais d'une tension nerveuse extrême, Elijah est né en
janvier 2003.
Il était si précieux! C'était un tel soulagement de le tenir enfin dans mes bras ! Nous avions
l'impression d'être parents pour la première fois. C'était un grand évènement d'amener notre nouveau-né
à la maison, de le voir grandir etc.; chaque instant avec Elijah est précieux, nous sommes en extase
devant chaque chose qu'il fait. Sachant comme la vie peut être courte, nous avons appris à apprécier
chaque petit détail et c'est si merveilleux d'observer comme Cecilia et Sébastien l'aiment.
Après la naissance d'Elijah nous savions que nous ne serions pas prêts avant longtemps pour une
autre grossesse. Les 2 césariennes classiques que j'avais eues étaient seulement espacées de 18 mois.
C'étaient des raisons physiques comme psychiques pour moi. Le souci d'une anencéphalie, d'une fausse
couche, la fatigue physique, les injections journalières (dues à un problème de coagulation du sang)
étaient toutes des raisons substantielles pour nous de jouir de nos 3 enfants et de mettre à plus
tard toute pensée d'une autre grossesse.
Mais contre toute attente, quand Elijah avait juste 9 mois, je me retrouvais enceinte ! La première grossesse-"surprise"
que nous avons eue. Au moment où je pensais à une éventuelle grossesse, j'ai recommencé à prendre mes pillules d'acide
folique - le jour de l'ovulation. J'aurais dû prendre ma dose recommandée de 5 mg 3 mois avant une conception et même
si à partir de ce jour, je la prenais (ma dose habituelle), je sentais à nouveau cette menace au-dessus de ma tête. J'ai
écrit à mon groupe de soutien "grossesse après perte" sur Internet :
"Dieu a de grands plans pour ce bébé... pour créer ce bébé, Dieu a passé outre mon désir de ne pas être enceinte, nos
efforts de contraception, mes taux bas de progestérone... il doit avoir de grands plans!!!"
Je n'étais pas prête physiquement et encore moins mentalement. Ce n'était pas un autre bébé qui me faisait souci mais
une autre grossesse. L'anxiété que je ressentais était insupportable. Nous étions angoissés et excités en même temps
en attendant l'ultrason de la 12e semaine. Naturellement tout allait être en ordre avec notre bébé.
Sorte d'ironie, la technicienne qui allait faire l'ultrason cette fois, était celle qui avait posé le diagnostic pour
Benedict. Au moment où elle allumait l'appareil, j'aurais parié que le bébé souffrait d'anencéphalie. Et même si je
me disait que ça pouvait être faux, je voyais sur l'écran que la tête était trop petite. Mon cœur commençais à battre
la chamade et j'attendais.
"Qu'est-ce que c'était comme défaut neural la dernière fois?" a-t-elle demandé.
"Anencéphalie"
"Désolé, mais cela semble être la même chose cette fois. Malheureusement nous ne pouvons pas le diagnostiquer plus tôt."
"Plus tôt???"
12 semaines étaient bien trop tôt pour apprendre une telle nouvelle. Mais à ce moment j'ai réalisé qu'elle pensait à
un avortement! Je disais alors, "J'ai porté notre fils jusqu'à terme et c'est ce que nous allons faire à nouveau." Nous
avons pu garder notre calme jusqu'à ce que nous étions dans la voiture, alors la technicienne ne savait pas trop quoi
nous répondre. Elle disait, "Je suppose que c'est plutôt un changement de plans pour vous qu'un retardement vu que
vous voulez continuer la grossesse..." Je pense que nous donnions l'impression d'accepter le diagnostic sans aucun
problème parce que nous ne devenions pas hystériques.
Je pensais, incrédule, "C'était ça le plan???"
Alors que nous nous habituions tout juste à l'idée que j'étais enceinte, nous devions à nouveau changer
de plans, cette fois avec la perspective que nous allions perdre un autre bébé. A ce moment-là nous avions
averti peu de personnes que j'attendais de nouveau un bébé. Le pire c'est que 12 semaines sont trop tôt pour
déterminer le sexe du bébé, ainsi nous ne pouvions même pas lui donner un nom.
J'étais toujours effrayée en pensant à l'éventualité d'une fausse couche parce que je ne sentais pas le
bébé bouger jusqu'à environ 20 semaines. Mon gynécologue m'avait informée que l'ultrason avait aussi
montré un placenta implanté très bas. 12 semaines sont un peu tôt pour faire un tel diagnostic, mais avec
mes 2 césariennes précédentes et déjà un cas de placenta previa dans le passé, le risque était très grand.
Je me suis alors informée sur Internet sur le terme "placenta accreta" et j'ai trouvé qu'avec mes 2 cicatrices
dues aux césariennes, plusieurs grossesses et placenta previa, j'avais 47 pourcent de chance de développer
en effet des problèmes. Le "placenta accreta" est une complication où le placenta est impliqué profondément
dans le muscle de l'utérus au lieu d'y être attaché juste en surface. Cela nécessite presque à chaque
fois une hystérectomie. Je trouvais que j'avais déjà beaucoup de problèmes!
Depuis le début je ne pouvais pas m'empêcher de tout comparer avec Benedict. Avec Benedict nous avions
eu l'impression que la grossesse et l'accouchement s'étaient passés sans problèmes, alors que cette
fois les évènements semblaient aller de mal en pis. Ce bébé ne pouvait pas vivre aussi longtemps que
Benedict, ce bébé ne pouvait pas être aussi beau que lui, ma césarienne ne pouvait pas se dérouler sans
complications...
Distinguer "ce bébé" de Benedict était presque impossible, avec lui cela avait été une expérience
qui avait changé toute notre vie, notre univers, et non quelque chose que nous étions supposés
vivre 2 fois.
J'avais mon premier rendez-vous prénatal après 18 semaines. Alors que l'ultrason avait été fait
à l'hôpital, j'étais sûre que les résultats avaient été transmis. Mais alors que j'ai été assise
à la salle d'attente pendant environ 45 minutes, entourée de femmes enceintes heureuses, je
commençais à réaliser que ce n'avait pas été le cas. Je savais qu'ils ne m'auraient pas laissée
là s'ils avaient été au courant. Avec un sentiment croissant d'appréhension, je réalisais que
je devais probablement leur annoncer la nouvelle moi-même. Une sage-femme m'a finalement appelée
et pendant que nous marchions vers son cabinet, elle m'a demandé, "Comment allez-vous?", de la
manière que vous le faites quand vous savez que la réponse est "Très bien!" J'ai répondu d'un
ton évasif, "Pas trop mal..." J'ai continué à penser, "Quand elle va ouvrir mon dossier...
elle saura..."
Malheureusement, alors que l'examen suivait son cours, je me rendais compte que les résultats
de l'ultrason n'avaient pas été transmis non plus et que je devrais dire quelque chose. La
sage-femme m'a demandé, "Est-ce que vous avez déjà eu un ultrason?" J'ai répondu, "Oui à 12
semaines et ce bébé souffre d'anencéphalie..." Elle m'a regardée un moment et puis me dit,
"Mais vous avez déjà perdu un bébé avec une anencéphalie! Oh, c'est juste trop lourd à porter
pour une seule personne!" Elle était très gentille, elle essayait de me consoler comme j'étais
complètement effondrée. J'ai demandé si Maggie pouvait continuer de s'occuper de moi pendant
mes visites prénatales, comme elle l'avait fait pour Benedict. Elle m'a expliqué que Maggie
ne travaillait plus dans ce secteur mais qu'elle voulait voir ce qu'elle pouvait faire pour moi.
J'étais presque plus mal à l'aise pour elle que pour moi à ce moment-là. Je ne peux pas m'imaginer
comment on doit se sentir dans une telle situation sans avoir été prévenu ou préparé auparavant.
Dans de telles conditions, je trouve qu'elle a admirablement bien maîtrisé la situation.
Deux semaines plus tard elle m'a appelée pour me dire qu'elle avait pu parler à Maggie et
que celle-ci était d'accord de s'occuper de moi pendant ma grossesse alors qu'elle ne
travaillait actuellement plus qu'en salle d'accouchement. J'ai senti un énorme poids tomber
de mes épaules. C'était un tel soulagement de savoir que Maggie allait me suivre pendant cette
grossesse, tout semblait prendre une bonne tournure! Elle savait quoi faire... elle nous
connaissait... elle avait déjà vécu cette situation... les choses allaient bien se passer maintenant!
La même semaine avait lieu notre second ultrason et nous étions heureux et triste en même
temps en apprenant que nous attendions une fille. Nous avions espéré une petite sœur pour
notre fille aînée. Après 3 garçons d'affilée, nous avions pensé que Cécilia serait notre
seule fille... C'était dur de savoir que cette petite fille n'allait pas rester avec nous.
Mais maintenant nous pouvions choisir un prénom et quel beau prénom, Charlotte Mary!
Mon placenta previa était diagnostiqué comme degré III, cela voulait dire qu'il recouvrait
en partie le col de l'utérus.
En appelant notre fille Charlotte, elle reçut enfin sa propre identité, bien distincte de son
frère. Nous découvrions qu'elle avait une toute autre personnalité que lui. Elle bougeait
beaucoup alors que Benedict était très calme. Benedict n'avait jamais aimé qu'on écoute son
battement de cœur, mais Charlotte se laissait faire. Ils étaient chacun unique.
Comment vivre cette expérience deux fois? Avec Benedict nous avions tout fait, est-ce que
nous étions supposés revivre tout? Encore un pendentif à partager? Diffuser à nouveau nos
requêtes de prières un peu partout? Est-ce que nous devions choisir les mêmes textes et
les chants à l'enterrement ou devions- nous tout changer? Si nous refaisions les mêmes
choses, est-ce que nous trichions face à Charlotte?
Cela nous a pris des semaines pour voir un peu plus clair et à la fin nous avions la paix
par rapport au parcours de Charlotte. Dans certains domaines nous allions procéder de la
même manière, par exemple le petit livre des funérailles ne contenait que des changements
mineurs et un nouveau passage de la Bible. D'autres choses étaient faites différemment.
Au lieu d'envoyer des centaines de requêtes de prières individuelles, nous n'en avons publié
qu'une seule dans quelques magazines catholiques et des lettres de nouvelles. De cette
façon nous avons pu atteindre la plus grande partie des gens que nous connaissions et
d'autres qui nous étaient inconnus. Nous avons aussi distribué cette requête de prière au
personnes avec qui nous étions en contact régulier, cela les aidait à comprendre ce que nous
traversions.
Depuis longtemps, je voulais mettre sur papier mes sentiments et les raisons qui nous
avaient poussés continuer la grossesse de Benedict jusqu'à terme et ce désir s'était
encore intensifié après le diagnostic de Charlotte. J'ai une sœur qui a aussi eu un
bébé avec une anencéphalie, donc j'ai vécu la situations de deux points de vue différents.
Probablement mieux que quiconque d'autre, je savais combien c'est dur pour des personnes
extérieures à la famille de comprendre tout cela parce que j'ai été tante et maman d'un
bébé atteint d'anencéphalie. Alors j'ai écrit un essai intitulé "Pourquoi continuer la
grossesse un bébé qui va mourir? La perspective d'une maman" où j'expliquais mes pensées,
sentiments et toutes les idées qui avaient tournés dans ma tête depuis le diagnostic de
Benedict. Je l'ai donné à Maggie, à quelques personnes par e-mail, à des amis et à la
famille et cela s'est propagé à partir de là. Au bout d'un moment, j'ai reçu une demande de
l'éditeur d'un site Internet catholique qui voulait publier mon essai! Je n'avais aucune
idée à combien s'élevait le nombre de leurs lecteurs mais le jour où le récit de Benedict
a été mis en ligne, le site de Benedict a reçu autant visites qu'il en reçoit d'habitude
en un mois! Nous étions submergés par les E-Mails qui nous offraient la prière et du soutien.
Ensuite quelqu'un a passé mon essai à un sous-éditeur du journal "Herald Sun" à Melbourne
et on nous a demandé si nous étions d'accord qu'ils fassent un article sur Charlotte.
Ils sont venus à notre domicile 5 jours avant la césarienne pour une interview et quelques
prises de photos. L'article a été publié dans l'édition du dimanche, un jour avant la
naissance de Charlotte. C'était une double page avec des photos sur les pages 4 et 5!
Une nouvelle fois nous étions inondés de différentes réactions de lecteurs; des cartes
par la poste cette fois. Nous étions surpris d'apprendre que notre histoire avait été
publiée par l'intermédiaire d'un syndicat de distribution dans toutes les villes capitales
au travers de l'Australie. Nous avons continué de recevoir 2 ou 3 cartes par jour dans notre
boîte aux lettres, souvent de gens étrangers jusqu'à un peu près 6 semaines après la naissance
de Charlotte.
Le journal a écrit un article sur la suite des évènements le dimanche après le décès de
Charlotte. Cette fois avec une photo de Mark et moi portant Charlotte dans nos bras à
l'hôpital. C'était si touchant de voir comment les gens répondaient si positivement en
entendant l'histoire de notre petite fille.
Une autre chose que nous faisions différemment cette fois nous avons prié pour un miracle.
Quand nous portions Benedict à terme, notre prière était juste "que ta volonté soit faite".
C'est comme si je savais qu'il n'allait pas être guéri et j'étais en paix avec cela. Mais
quand nous avons reçu le diagnostic pour Charlotte, ma pensée était "bien, nous
devons prier pour un miracle cette fois, parce que je ne supporterais pas
de perdre un autre bébé!" Alors nous avons demandé à Mère Teresa d'intercéder pour nous,
afin que Dieu puisse répondre à notre requête et guérir notre petite fille. Des milliers
de personnes nous ont accompagnés dans notre prière.
En demandant une guérison miraculeuse, cela ne voulait pas dire que nous nous y attendions aussi, nous savions très bien
que la réponse allait plutôt être "non". Si des miracles avaient lieu tout le temps, cela ne serait plus rien de
remarquable. Nous n'étions pas surpris de voir qu'à sa naissance notre fille n'était pas guérie. Mais nous savions
aussi que Dieu pouvait choisir de guérir notre bébé et cela nous a certainement donné de l'espoir. Toutes les prières
sont exaucées mais pas toujours de la manière que nous aimerions. Les prières qui ont été faites en notre faveur nous
ont en tout cas donné un sentiment profond de paix, quelques fois subtilement, à d'autres moments d'une manière très
palpable.
Le temps que nous gardons les deux fortement en mémoire se situe juste avant la naissance de Charlotte. La césarienne
avait été retardée d'une heure et nous étions en train de discuter avec Maggie et le Père Anthony. Ensuite le Père
Anthony a prié pour nous et pendant qu'il nous bénissait nous avons ressenti une telle paix et sérénité qui nous ont
accompagnées tout au long de la journée. Aucun de nous a expérimenté un tel sentiment de paix avant ces instants-là.
Cela ne veut pas dire que j'étais toujours aussi paisible pendant toute ma grossesse. Il y avait aussi
beaucoup de sentiments incontrôlables et sombres. A certains moments je me sentais comme un roseau prêt
à être cassée par la prochaine tempête.
Pendant la grossesse de Benedict je n'ai jamais vraiment demandé "pourquoi?" Comme ma sœur avait aussi
perdu un bébé de cette manière, cela avait plus de sens de demander "pourquoi pas?" Mais de le vivre
deux fois! Mon cœur criait, "pourquoi, pourquoi, pourquoi?" Pourquoi ne pouvait-elle
pas être atteinte d'une maladie avec laquelle elle pouvait vivre? Qu'est-ce que nous étions supposés
apprendre cette fois que nous n'avions pas appris avec Benedict? Et la question la plus angoissante:
"est-ce que ça allait se reproduire?"
Finalement je me suis rendue à l'évidence que je ne pourrais jamais recevoir les réponses à toutes mes
questions ici-bas. Je devais plutôt faire de mon mieux pour gérer cette situation et ne "pas m'appuyer
sur ma propre intelligence"...
En ayant déjà eu un cas de placenta previa, je m'attendais à tout moment à ce que les saignements
commencent et je me demandais si j'allais faire une hémorragie et avoir besoin d'une césarienne
d'urgence. Mais j'ai atteint la 31e semaine avant d'avoir mon premier petit saignement. J'au dû
passer une nuit à l'hôpital. L'ultrason montrait un petit saignement derrière le placenta et un
degré III de placenta previa. Deux autres hospitalisations ont été nécessaires pendant les prochaines
semaines. La 3e fois le saignement était plus fort et a duré plus de 24 heures. Je sentais que le
prochain saignement allait être sérieux... mais "le prochain" n'arrivait pas! J'avais un dernier
ultrason à la 36e semaine et à notre grande surprise le placenta était monté!!! En l'espace de 5
semaines mon placenta previa degré III (placenta qui recouvre en partie le col de l'utérus) s'est
déplacé de telle manière qu'on ne pouvait même plus parler de placenta previa du tout. Cela a été
très inattendu.
Maintenant le risque d'une hystérectomie était très petit et mon angoisse de cette prochaine
césarienne avait beaucoup diminuée. J'avais eu tellement peur que quelque chose puisse mal
se passer pendant l'opération et que Charlotte meure pendant que j'étais inconsciente. Je ne
voulais pas perdre une seconde avec elle sachant que le temps pouvait être très court.
Heureusement la césarienne s'est incroyablement bien passée! La péridurale était de loin
la meilleure que je n'ai jamais eue. J'ai pensé que j'allais paniquer pendant l'injection
mais j'étais très calme, à l'aise, paisible... Et je n'en croyais pas mes oreilles quand
ils m'ont dit que tout était fini! Ils ont même pu faire une incision moins importante
(après deux césariennes classiques), je n'avais pas besoin de transfusion sanguine et
quand mon médecin a contrôlé mon utérus il m'a dit que je pourrai envisager d'autres grossesses!!!
Cela a pris un bon moment pour mettre Charlotte au monde parce que cette dernière semaine
elle s'était retournée et se présentait par le siège. L'accouchement semblait s'éterniser
et j'avais peur qu'elle soit déjà morte et qu'ils ne sachent pas comment nous l'annoncer.
Mais finalement il y eut un petit cri et elle était née!
Elle était si mignonne et couverte de vernix et elle ressemblait tellement à Benedict.
On lui a mis un petit bonnet blanc, blanc au cas où le médecin se serait trompé et que
ça aurait été un garçon. Quand elle est née j'avais d'abord de la peine à la différencier
de Benedict à cause de la ressemblance. Cela a été quelque chose de difficile pour moi
après son diagnostic, de l'accepter elle et de la voir elle comme un bébé bien à part.
C'était un peu plus facile une fois que nous avions appris que c'était une fille. Mais
à sa naissance ça se mélangeait à nouveau dans ma tête. Alors aussitôt que nous nous
retrouvions dans notre chambre d'hôpital, j'ai changé son bonnet blanc contre un joli
rose et elle redevenait Charlotte.
On m'avait mis Charlotte contre ma poitrine afin de pouvoir bien la regarder. Elle
avait l'air si calme et était assez violette que je m'inquiétais. Je demandais à
Maggie si elle respirait et elle me répondait, "je pense que je vais la prendre et
la frotter légèrement..." Elle m'a dit le jour d'après que le pouls de Charlotte
avait chuté à la salle d'opération et qu'elle l'avait frictionnée et même fait un
petit massage cardiaque. Je m'imagine qu'elle a du lui dire quelque chose comme:
"tu ne va pas oser mourir maintenant sur ton papa et ta maman, après tout ce
temps qu'ils ont attendu pour te tenir dans leurs bras." Quand Maggie nous l'a
ramenée, elle était de nouveau toute jolie et rose et nous ne savions pas à quel
point nous avions été près de la perdre.
Aussitôt après sa naissance, le Père Anthony est entré et l'a baptisée et
confirmée. Il a pris un tas de belles photos et quelques prises
de vidéo aussi. Ces courts enregistrements nous sont tellement précieux.
Nous ne nous sommes pas aperçus qu'il était en train de nous filmer, alors
ces séquences où nous apprenions à connaître Charlotte sont très naturelles
et spontanées. Le frère Anthony est resté avec moi pendant mon rétablissement
et un peu plus tard a terminé la cérémonie de baptême alors que nous étions
tous dans la chambre. Sa présence était réconfortante et nous lui étions
reconnaissants d'être avec nous pendant ce temps-là.
Ensuite, Charlotte a rencontré ses frères et sœurs; notre fils de 4 ans était
aux anges, "oh, elle est SI mignonne!!!" Notre fille de 6 ans a mis un petit
moment pour s'habituer à elle, mais heureusement nous avions d'assez de
temps pour qu'elle tombe amoureuse de sa petite sœur avant qu'elle ne meure.
Elijah, âgé de 17 mois à l'époque, ne semblait même pas se rendre compte qu'il
y avait un autre bébé dans la chambre!
Charlotte a ensuite rencontré des cousins, des oncles, des tantes, les
grands-parents, des amis - ce premier jour était très chargé! Elle était
si calme et paisible, nous étions sûrs qu'elle ne vivrait pas aussi longtemps
que Benedict. Du fait que nous avions déjà passé par-là, nous savions à quoi
nous attendre et nous étions très angoissés à l'idée qu'une de nos visites
puisse assister à une crise de la part de Charlotte. Nous étions assez tendus
pendant que les gens étaient là et étions contents quand le soir arrivait et
que nous l'avions rien que pour nous.
Nous avions tellement de moments tout au long des prochains 6 jours où nous
pensions qu'elle allait nous quitter d'un instant à l'autre. Le premier incident
se passa vers 23 heures le premier soir; il n'y avait pas moyen (et nous en
étions sûrs) qu'elle survive un jour de plus. Nous pensions tout faux! Il y
avait au moins 3 équipes d'infirmières qui se succédaient à qui je disais
"je ne pense pas qu'elle vive encore longtemps maintenant ..." Etrangement,
chaque fois que je pensais qu'elle allait mourir, je me rendais compte combien
de temps précieux nous avions déjà pu passer avec elle. Alors même si elle était
décédée ce premier jour, j'aurais été reconnaissante pour ces moments passés
avec elle. Je ne l'ai jamais suppliée de ne pas mourir maintenant, j'étais
juste contente pour ce temps qui nous avait été accordé.
Elle était si jolie et toute rose et plus douce que tout ce que j'ai jamais vu.
Elle était calme et paisible et elle avait l'air plus petite et plus fragile que
Benedict. Imaginez notre surprise quand nous avons appris qu'elle pesait 2,970 kg,
presque 500 g de plus que Benedict!
A la fin de son deuxième jour, nous nous rendions compte que nous avions passé
notre journée à attendre qu'elle s'en aille. Nous avons alors décidé que ce
n'était pas la bonne manière de procéder et nous avons fait un effort pour
nous réjouir qu'elle soit toujours en vie - au lieu d'attendre et d'anticiper
sa mort.
Nous avions désespérément besoin de sommeil. Alors ma maman et ma
sœur sont venues et sont restées 6 heures avec Charlotte pendant la deuxième
nuit. Cela a permis à Marc et à moi de nous reposer un peu. Nous étions pourtant
très hésitants quant à cette décision car nous voulions être seuls avec elle
lors de son décès. De l'autre côté nous avions vraiment besoin de repos et nous
leur avons alors expliqué qu'il fallait tout de suite nous réveiller au cas où
quelque chose se passerait. C'était un tel soulagement de pouvoir dormir en
sachant que quelqu'un veillait sur elle.
Maggie a pu nous rejoindre le 2e et 3e jour et elle a pu passer quelques
heures avec Charlotte. Je pense que c'était aussi bien pour elle. Elle a
ainsi pu faire connaissance de Charlotte en tant que vraie personne. Elle
lui a offert le plus joli des nounours, juste à la bonne taille pour elle.
Nous l'avons mis dans ses bras et elle l'a tenu pratiquement pour le reste
de sa vie, c'était si mignon!
Charlotte a réagi beaucoup plus face à son environnement que ne l'avait
fait Benedict. Peut-être que son cerveau a quand même fonctionné jusqu'à
un certain degré? Même si nous ne savons rien sur le niveau de fonctionnement
de son cerveau, nous pensons qu'elle avait une certaine conscience de ce qui
l'environnait. Elle réagissait au flash de la caméra, elle suivait la trajectoire
de la lumière avec ses yeux, elle sursautait quand il y avait du bruit, elle
avait des mains et des pieds chatouilleux, elle ressentait clairement de la
douleur quand son petit bonnet était déplacé et était visiblement plus à
l'aise quand nous avions fini de la changer ou de l'habiller.
Elle a commencé à avoir faim ! Cela m'a pris un moment avant de réaliser
qu'elle avait faim, je n'avais même pas envisagé de la nourrir au sein!
Plusieurs fois elle pleurait et faisait des petits bruits et nous ne savions
pas quoi faire. Alors elle a commencé à faire comme un bruit de succion avec
sa langue et j'ai pensé, "peut-être qu'elle sait téter???" Quand j'ai essayé
de la nourrir, elle a ouvert sa bouche de la bonne manière, elle a tété et
lapé le lait que j'ai extrait pour le lui mettre dans la bouche. Elle ne s'est
pas vraiment accrochée mais c'était si beau de la voir téter, avaler et apprécier
du vrai lait. Vu que je n'avais pas encore sevré Elijah, j'avais assez de lait
à lui donner. J'étais si contente qu'Elijah ne soit pas encore sevré!
Quand j'allaitais Charlotte, elle mangeait presque pendant une heure et
ensuite elle était de nouveau toute calme. C'était mon 5e bébé, pourquoi
cela m'a-t-il pris si longtemps avant de penser à la nourrir??? Un nouveau-né
en bonne santé crie et vous le nourrissez. Mon bébé malade pleure et je pense
'c'est mignon'! Je suis si contente que nous l'ayons filmé pendant qu'elle
mangeait. Quelle belle séquence!
Parce qu'elle a vécu si longtemps, nous avons pu observer changer son visage
(comme ça se passe avec tous les nouveau-nés). Son nez semblait légèrement
aplati lorsqu'elle est née. Mais après 24 heures il s'est redressé et ressemblait
au nez de nos autres enfants; le même que Mark!!! Elle est née avec la petite
fosse dans le menton comme moi, mais après quelques jours elle a développé un
menton très déterminé ce qui est un signe distinctif de la famille Streckfuss.
Elle avait alors l'habitude d'avancer son menton et de faire une bouche pointue,
c'était si joli!
Nous avons évidemment pris un tas de photos d'elle! Elle a fait une légère
jaunisse le troisième jour, mais elle a quand même gardé ses jolies joues
roses. Ses oreilles étaient parfaitement bien formées. Celles de Benedict
avaient été un peu aplaties sur le dessus. Charlotte avait un tas de cheveux noirs,
ceux de Benedict avaient été brun clairs. Mais la plus grande différence entre
les deux était que Charlotte était capable de boire au sein!
Chaque jour il y avait un moment où nous pensions "ça y est...". Nous avons
installé un tube à oxygène à partir de la deuxième matinée. Cela ne la gardait
pas en vie mais je pense que ça lui permettait d'être à l'aise et de pouvoir
se reprendre après chaque crise d'apnée. Alors que nous atteignions le quatrième
jour (jeudi), ils nous parlaient de notre retour à la maison. Nous ne l'avions
jamais espéré!
Nous devions essayer de trouver un siège pour la voiture, contacter un service
de soins palliatifs, etc. Quand approchait le moment du départ, nous
avions peur de laisser le tube d'oxygène - "et si elle allait mourir pendant
le trajet dans la voiture???" Nous avons alors demandé à l'une des gentilles
infirmières s'il existait des bouteilles d'oxygène portables, alors que Mark
s'était déjà arrangé pour avoir de l'oxygène à la maison. Quand l'infirmière
est revenue, elle nous a dit qu'elle avait organisé un transport en ambulance!
C'est ainsi que Charlotte et moi faisions notre premier trajet en ambulance ce
vendredi après-midi! J'étais tellement effrayée à l'idée qu'elle puisse décéder
pendant le voyage, mais cela s'est bien passé et nous avons eu une merveilleuse
nuit à la maison avant qu'elle ne meure.
Quand elle est décédée samedi à la maison, nous étions présents les deux. Nous
la tenions dans nos bras en l'aimant tendrement et nous étions alors prêts à la
laisser partir. Après 6 merveilleuses journées entourée de notre amour et de nos
prières et celles de nos amis, nos familles et de milliers d'étrangers autour du
monde, elle nous a quittés pour le ciel. Le souvenir que nous gardons d'elle nous
accompagnera pour toujours.
Environs 30 minutes après le décès de Charlotte, la sage-femme domiciliaire est
arrivée. Elle a contrôlé mes points de sutures mais nous étions surtout reconnaissants
qu'elle soit là pour nous réconforter. Elle a examiné Charlotte avec son stéthoscope
pour confirmer que son cœur avait cessé de battre. Charlotte s'était endormie si
doucement que nous avions de la peine à déterminer le moment exact de sa mort.
La sage-femme est restée là pendant que Mark téléphonait au médecin responsable.
Elle était si gentille et encourageante et je suis sûre que sa présence à ce moment-là
était un acte de Dieu. Elle nous a expliqué que si un bébé mourait à l'hôpital,
les parents étaient autorisés à le garder avec eux dans la chambre pendant 2 à 3 jours.
Alors elle nous a suggéré que si les funérailles avaient lieu le mardi suivant, nous
pouvions la garder avec nous jusque-là. Mark s'est renseigné auprès du directeur
des services funèbres si c'était possible et nous avons pu faire cet arrangement.
Ainsi Charlotte est restée avec nous jusqu'à ce que le directeur vienne la chercher
ce mardi matin pour l'amener dans le cercueil à l'église.
Après le départ de la sage-femme, Mark m'a dit, "c'est le 26, le jour du décès de
Benedict." Je ne me suis même pas rendue compte. Je me suis rappelée le jour d'avant
que ça serait l'anniversaire de Benedict et j'espérais qu'elle ne meure pas ce jour-là.
Mais lorsqu'elle était en train de mourir ce matin-là, je n'ai même pas pensé à la
date. Ou bien c'était la plus grande coïncidence dans ce monde ou ça signifiait
quelque chose !!! Ainsi ils partagent maintenant la même date pour leur "départ au ciel".
Nous avons eu plein de temps avec Charlotte après son décès. Chacun l'a de nouveau
tenue dans ses bras. Mark et moi avons dormi avec elle entre nous deux pendant la
nuit de samedi à dimanche. Dimanche matin je l'ai baignée avec Cécilia et Sébastien
pendant que Mark nous a filmés. Ils étaient tout contents de pouvoir lui laver ses
petites mains, ses orteils etc. Après que nous l'ayons séchée, ils voulaient mettre
un peu de poudre sur elle et étaient heureux de pouvoir frictionner son petit ventre.
Cécilia lui a mis une nouvelle couche et m'a aidée à l'habiller dans une jolie robe
faite de broderie anglaise. Quelques amis et la famille nous ont à nouveau rendus
visite. C'était chouette de pouvoir la serrer contre nous en sachant que nous ne
lui faisions pas mal. Après avoir passé tout ce temps avec elle c'était beaucoup
moins pénible de la laisser partir à la fin.
Nous lui avons mis un joli habit et l'avons enveloppée dans une couverture que
j'ai spécialement confectionnée pour son enterrement. Nous l'avons tenue une
dernière fois et les enfants l'ont couverte de baisers. C'est de nouveau mon
père qui a fabriqué le cercueil. Il ressemblait à celui de Benedict, mais avait
quelques décorations en plus, il était plus 'joli', ce qui semblait très bien
convenir pour notre petite fille. Je l'ai couchée dans le cercueil et le moment
venu, j'ai fermé le couvercle moi-même.
L'enterrement fut une belle célébration de sa vie. Le déroulement était à peu
près le même que pour les funérailles de Benedict, mêmes chants, presque tous
les mêmes textes. Presque tous les cousins à Charlotte ont apporté un cadeau
lors de la procession d'offertoire ainsi que quelques objets symboliques de la
vie de Charlotte (sa bougie de baptême, une photo, un nounours, différents cadeaux
qu'elle a reçus, des iris individuelles...). Il y avait beaucoup de cousins et
cousines, c'était une jolie procession. Le Père Anthony était merveilleux, il a
fini son sermon en remerciant Charlotte d'avoir pu la tenir dans ses bras.
Notre directeur funèbre (qui est un vieux monsieur très sympathique) a dit qu'il
ne se sentait pas très bien ce jour-là, et nous pensions qu'il était peut-être
malade. Mais il a continué en disant, "je n'ai pas de belles-filles, ni de
petits-enfants et j'aime les enfants. Un événement comme celui-ci me va droit
au cœur..." Cela doit être un travail pénible à faire.
Après les prières sur la tombe, nous avons chanté 'Salve Regina', le même
chant qu'à son baptême à l'hôpital. Chacun de nous a déposé un iris sur la
tombe et ensuite nous avons lâché 55 ballons blancs, roses et lavandes à
l'unisson (à l'exception de quelques petits bonhommes qui avaient de la
peine à les laisser s'envoler !!!). C'était une façon tellement positive de
finir le service! Nous voulions vraiment conclure ces funérailles avec une
note encourageante parce que pour nous la vie de Charlotte a été un triomphe
et non une tragédie.
Et ainsi nos deux bébés sont couchés l'un à côté de l'autre. Charlotte, Benedict
et leur cousin Thomas Walter, tous alignés. Les deux derniers bébés qui ont été
enterré dans ce cimetière ont été les nôtres. C'est triste, mais
il y avait aussi tant de bonheur et de bénédictions mélangés à cet immense chagrin
que je ne peux pas dire que c'était une tragédie. Je suis triste qu'ils n'aient
pas pu rester mais je suis si contente qu'ils soient venus. Nous avons certainement
expérimenté cette paix qui dépasse tout entendement pendant cette période-là.
De les avoir connu et aimé les deux est un don si précieux que nous allons garder
dans nos cœurs pour toujours.
Teresa Streckfuss
Dernière mise à jour de cette page: 05.02.3019